La bombe atomique : émergence et usages de la peur

La bombe atomique : émergence et usages de la peur

Article rédigé par Tristan Loncle de Furville (Terminale) et Yanis Taimi (Première) –

Nous sommes en possession de l’explosif le plus destructeur jamais conçu par l’homme”. Voici ce qui était imprimé sur l’ensemble des tracts largués par l’aviation américaine au-dessus du Japon le 8 Août 1945, soit deux jours après le premier bombardement à Hiroshima et la veille du second à Nagasaki. Face au refus du gouvernement japonais de capituler devant les Etats-Unis après 3 ans de guerre meurtrière, ces derniers ont décidé de mettre en œuvre le projet Manhattan, présentant un double avantage pour eux : mettre fin à la guerre du Pacifique en évitant les pertes américaines tout en faisant la démonstration de leur puissance devant le monde entier – et notamment l’URSS.  Entre 100 et 200 000 personnes, des civils pour la plupart, périrent en l’espace de quelques secondes, et plus de 600 000 “hibakusha” (“personnes affectées par les bombes”) eurent à souffrir, leur vie durant, des graves séquelles liées à la tempête thermique et radioactive provoquée par les deux explosions dévastatrices, ainsi que des discriminations et de l’isolement social liées à leur statut au sein de la population japonaise dans les décennies qui suivirent.

Face à l’ampleur des pertes humaines et matérielles, le Japon, meurtri et terrifié, se voit contraint de capituler devant les forces américaines. Ces dernières vont imposer une censure stricte au peuple japonais, ne laissant dans un premier temps aucune information filtrer concernant les maladies liées aux radiations et autres conséquences de l’explosion s’ébruiter en Europe et en Amérique. Ainsi, les réactions dans le monde occidental sont au lendemain de l’événement plutôt enthousiastes : la guerre prend fin avec un dernier acte dans lequel le coût humain, du côté occidental, est quasi-nul. Winston Churchill se montre partisan de cette idée lors d’un discours à la Chambre des Communes Britanniques en Août 1945:

“Des voix font valoir que la bombe n’aurait jamais dû être utilisée. Je ne peux pas m’associer à de telles idées. […] Je suis surpris que des personnes sensé est, mais qui dans la plupart des cas n’avaient pas l’intention de se rendre elles-mêmes sur le front japonais, adoptent la position selon laquelle nous aurions dû sacrifier un million d’Américains et un quart de million de vies britanniques, plutôt que de lancer cette bombe.”  

Néanmoins, les voix ne sont pas unanimes et l’arme nucléaire a engendré de nombreuses questions d’éthique, des débats internationaux, et surtout une peur d’un genre nouveau qui peut encore être ressentie aujourd’hui, 80 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. 

Dans le cadre de la commémoration du massacre fulgurant causé par la bombe atomique, la ville de Nagasaki a ouvert, 10 ans après le drame, le musée de la bombe atomique. Ce musée qui expose sans fard les effets de la catastrophe donne un aperçu du traumatisme intergénérationnel engendré par celle-ci. On peut y voir des objets personnels vestiges du désastre, des photographies de la ville prises dans les jours qui ont suivi l’explosion, et des tableaux et sculptures relevant du courant de “l’art nucléaire” – forme d’art engagé visant à dénoncer l’usage de l’arme atomique. L’œuvre la plus emblématique du lieu est une statue de Seibo Kitamura représentant un homme tendant un bras à la verticale et un autre à l’horizontale, mettant en garde contre la menace nucléaire tout en promouvant un avenir meilleur et pacifique. Le musée est célèbre dans le Japon tout entier, tel un souvenir de la violence de la guerre et du prix de la paix. 

Les horreurs de la guerre  dont on prend ainsi conscience in situ ne laissent personne indifférent. En occident, nombreux sont ceux qui ont exprimé, de façon plus ou moins différée, leur effroi et leur empathie, que ce soit à travers des articles journalistiques, des interviews ou des ouvrages littéraires. Aujourd’hui, la peur de la bombe atomique est un sujet géopolitique de première importance, et une arme (de dissuasion, d’intimidation…) tout aussi efficace que la bombe elle-même. L’objet de la présente contribution vise donc à appréhender l’effroi généré par l’évocation ou le déclenchement de la bombe atomique que les artistes tentent et ont tenté de saisir et représenter dans leurs œuvres, ainsi que d’analyser cette pesante ombre géopolitique de la guerre nucléaire sur les conflits plus récents. Les artistes eux-mêmes ne participeraient-ils pas au renforcement de la menace ?

A travers notre étude, nous allons ainsi essayer de documenter dans un premier temps l’émergence de la peur de la bombe atomique dans le monde occidental ; puis nous aborderons la dimension géopolitique de cette peur, la manière dont elle a été utilisée après Hiroshima par les grandes puissances mondiales.


1/ La remise en question de la techno-science à travers le journalisme et la littérature.


1.1/ La prise de conscience de la faiblesse de l’homme et de sa finitude.

En France, les réactions négatives face aux bombardements de Hiroshima et Nagasaki furent immédiates. C’est Albert Camus qui réagit le premier avec force et rage à la une du journal Combat du 8 Août 1945. Il dénonce la célébration d’une  invention comme la bombe atomique, qui certes a permis l’arrêt des combats et la fin de la guerre, mais ce au  prix de milliers de vies innocentes:

“[E]ntourer ces terribles révélations d’une littérature pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.” 

Les réactions chez les uns et les autres sont en effet presque unanimes ; les journaux et radios du monde entier font l’éloge, sur le mode de la dérision voire du racisme caractérisé, de ce formidable progrès technologique qu’est l’arme nucléaire. Après avoir largement critiqué “ce degré de sauvagerie” atteint par la civilisation mécanique, Camus en vient à exprimer sa peur quant au monde de demain et  au choix auquel nous sommes tous exposés, à savoir “le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques”   autrement dit “l’enfer ou la raison”. Nous pouvons ainsi  percevoir les prémisses  de la peur de la bombe atomique dans cet éditorial d’ Albert Camus, qui  souligne la puissance dévastatrice de cette bombe “de la grosseur d’un ballon de football” pouvant raser n’importe quelle ville de taille moyenne ; ainsi, “le monde est […] peu de chose”.  La paix ne peut être durable dans un monde ou une poignée de puissances mondiales seulement détiennent le pouvoir d’imposer leur volonté au reste du monde, vouant notre avenir à “des perspectives terrifiantes”. 

On retrouve certaines de ces idées dans Nous sommes des révolutionnaires malgré nous, un ouvrage pionnier sur la technologie et l’écologie publié par Bernard Charbonneau avec la participation de Jacques Ellul en 1945. Dans cet ouvrage à la fois direct et incisif, Charbonneau aborde la question de la bombe nucléaire sur un mode anxiogène. En effet, cette nouvelle découverte n’est pour lui qu’une confirmation de ses pires craintes concernant le gigantisme technologique et l’utilisation militaire de la technologie. L’auteur dénonce l’impact de cet événement qui a fait basculer l’humanité entière “du plan de la vie quotidienne à celui du roman d’anticipation , de la lutte journalière pour le bifteck à celui de l’Apocalypse“. Ainsi, l’angoisse exprimée par Charbonneau va bien au-delà de la simple peur de la mort individuelle : elle porte sur la fin possible de la civilisation telle qu’on la connaît. 

“Désormais, l’existence de Paris, de Moscou, de New York ne tient qu’à un ordre ; […] la civilisation des grandes villes a engendré le moyen par lequel elle se rend absurde. […] Le monde des hommes est une maison hantée par la présence de la mort, où il devient impossible de vivre sans arrière-pensées”

Charbonneau dénonce l’absurdité de la bombe atomique, créée pour faire la paix à travers la violence et la mort. Son message comporte aussi une dimension politique.

Il n’y a plus d’éternité, il n’y a plus de nature, mais une situation précaire artificiellement maintenue par une convention entre grands États. […] Entre l’apaisement de ce jardin d’été et la flamme de l’enfer, il n’y a plus que l’épaisseur d’un accord international, comme celui qui interdit la déportation et le bombardement des populations civiles

Charbonneau prévoit dans ce passage la création d’accords internationaux militaires en ironisant et doutant de leur efficacité réelle.  Il critique la superpuissance  octroyée par la bombe atomique ainsi que la faiblesse, les bassesses de l’humain et de ce qu’elles peuvent engendrer. Face à cette arme, rien n’est plus assuré, rien n’est plus stable, nous vivons tous en sursis.

1.2/ La peur de la déshumanisation croissante de l’être humain

Certains auteurs critiquèrent aussi la bombe sans la mettre pour autant au centre de leur préoccupation. C’est le cas de Jacques Ellul dans La Technique ou l’Enjeu du siècle, ouvrage dans lequel l’auteur semble exprimer une peur non pas de la mort mais de la déshumanisation qui s’opère chez l’être pensant que nous sommes : 

La bombe atomique n’est pas le produit de quelques méchants bellicistes, mais un résultat normal du développement des recherches atomiques”

Ellul constate le caractère amoral qu’a en soi l’usage de la bombe: elle est l’aboutissement tristement logique de la rationalité technicienne, de la recherche de l’efficacité, qui ne comporte en elle-même aucune dimension éthique, et qui domine désormais les mentalités occidentales.

“La technique n’adore rien, ne respecte rien, écrit Jacques Ellul ; elle n’a qu’un rôle : dépouiller, mettre au clair, puis utiliser en rationalisant, transformer toute chose en moyen”

Ainsi, la technique est intrinsèquement insensible, elle ne fonctionne que par rapport au rendement, à l’efficacité et au gain de l’utilisateur de celle-ci. Il était en effet plus rentable pour les américains, en termes de pertes et de profits matériels et humains, d’employer la bombe atomique plutôt que d’épargner des centaines de milliers de civils japonais innocents. On voit poindre dès lors la peur d’une déshumanisation de l’humanité: si l’on continue sur cette trajectoire, on pourrait facilement imaginer un monde asservi au profit d’une poignée de nations, un monde sans scrupule où tout est bon dès lors qu’il s’agit de développement et de croissance économique.


1.3/ Le nucléaire et l’émergence du roman post-apocalyptique.

Cette prise de conscience de la précarité de nos sociétés modernes se fait aussi ressentir à travers la littérature dystopique. La crainte d’une “apocalypse” sous telle ou telle forme remonte aux premières civilisations humaines, mais elle se nourrit alors de considérations essentiellement religieuses. On peut par ailleurs retrouver avant l’invention de la bombe atomique des ouvrages qui mettent en scène un monde menacé par l’usage militaire de la technologie. Le roman de H.G. Wells, écrit en 1913 et intitulé La destruction libératrice, se déroule sur une planète ravagée par la guerre, et l’auteur expose déjà ses craintes concernant la consommation abusive d’énergie, la  destruction de la nature, ainsi que la mise en place d’un nouvel ordre mondial. Mais avec l’usage de l’énergie atomique, ces thèmes vont devenir de plus en plus saillants dans le roman dit “post-apocalyptique”. Ce roman d’un nouveau genre est caractérisé par la représentation d’un monde dévasté et d’une humanité luttant pour sa survie. Les personnages sont alors confrontés à des défis extrêmes, tels que la recherche de nourriture, d’eau et d’abris sûrs, ainsi qu’à des menaces provenant d’autres survivants ou de l’environnement lui-même. 

Le largage de deux bombes atomiques en 1945, suivi par la course aux armements nucléaires dans le contexte de la guerre froide, ont clairement eu une influence sur le développement du genre post-apocalyptique en littérature. Ils ont suscité des préoccupations profondes quant aux conséquences potentielles de la guerre nucléaire et ont alimenté l’imaginaire collectif des sociétés contemporaines. Les auteurs expriment cette peur dans leurs œuvres dans un but cathartique, mais aussi afin de  critiquer un monde trop dépendant de la technologie. Dans cette veine, on peut évoquer Ravage de René Barjavel ou encore Malevil de Robert Merle. Dans ces deux romans, l’homme lutte pour sa survie dans un environnement où tout ce qu’il connaissait a disparu ou s’est retourné contre lui. Au-delà de la mort individuelle, la plus grande peur de l’homme est celle de l’anéantissement de sa propre espèce, de la nature entière, voire de la Terre elle-même. Les survivants sont contraints de s’organiser dans un monde où l’humain n’est plus roi et où tout paraît plus hostile encore que la nature dans un âge pré-technologique. 

Sans qu’il soit besoin de multiplier les exemples, la majorité des romans post-apocalyptique trouvent leur – triste – inspiration dans les effets cataclysmiques de l’énergie nucléaire, devenue de plus en plus incontrôlable. Même les usages non militaires de l’énergie atomique posent aujourd’hui problème et sont générateurs d’angoisse. En 1986, l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine a permis au monde entier de se rendre compte de l’immense puissance que l’humain a acquis au XXème siècle, mais aussi de la possibilité pour la technologie de se retourner contre son créateur et de causer des dommages non intentionnels mais irréversibles. Au Japon, l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima en 2011 a ravivé le traumatisme d’Hiroshima, donnant à la population japonaise le sentiment tragique d’une histoire cyclique dans laquelle la menace atomique ne pourra jamais être totalement conjurée.

2/ Le paradoxe géopolitique de la bombe atomique. 

Comme l’a tragiquement exprimé J. Robert Oppenheimer , ” je suis devenu la mort, le destructeur des mondes.” Cette citation saisissante illustre l’ampleur des enjeux liés à cette arme de destruction massive et donne une première idée des dilemmes moraux et géopolitiques qui en découlent.

L’histoire de la bombe atomique est marquée par des moments clés qui ont façonné notre compréhension de la puissance destructrice de cette arme. Les horreurs d’Hiroshima et de Nagasaki ont marqué un tournant décisif dans l’histoire de l’humanité. Ces événements tragiques ont suscité des questionnements profonds sur les conséquences de la découverte de la fission nucléaire.

Mais c’est dans l’après-guerre, pendant la période de la guerre froide, que le paradoxe géopolitique de la bombe atomique a atteint son apogée. Dans ce contexte de confrontation idéologique entre les États-Unis et l’Union soviétique, la course aux armements nucléaires a créé une tension permanente, où la détention de l’arme nucléaire était à la fois perçue comme une menace réelle et un moyen de dissuasion.

Cette situation paradoxale a également été soulignée par Carl Sagan , qui a déclaré avec ironie : “Le danger réside dans le fait que l’arme nucléaire est peut-être notre assurance la plus sûre que personne ne l’utilisera.” En effet, la dissuasion nucléaire a pu prévenir un conflit direct entre les grandes puissances, mais elle a également engendré une peur constante de l’escalade nucléaire et des risques de catastrophes accidentelles.

Ainsi, notre exploration de cette problématique nous amènera à examiner les paradoxes moraux, politiques et stratégiques liés à la bombe atomique. Nous analyserons les dilemmes auxquels sont confrontées les nations détentrices de l’arme nucléaire, ainsi que les défis posés par la prolifération nucléaire et les tensions géopolitiques actuelles. 

Le sujet étant particulièrement vaste et complexe, nous nous limiterons à l’examen de deux cas d’usages stratégiques récents de la peur de l’arme atomique dans la période post-guerre froide. Nous commencerons en présentant le cas de la guerre d’Irak (ou seconde guerre du Golfe), où l’instrumentalisation de la peur de la bombe atomique a servi à justifier une guerre-éclair des Etats-unis contre une nation qui ne présentait pourtant pas une menace immédiate; puis nous décrypterons comment la guerre actuelle en Ukraine fait ressurgir aujourd’hui la peur de la bombe atomique. 

Dans un cas, on prétend que l’adversaire cherche à détenir l’arme atomique pour justifier l’invasion d’une nation. Dans l’autre, on menace d’utiliser l’arme nucléaire pour contraindre une nation envahie à accepter l’invasion. 


2.1/ L’invasion américaine en Irak et sa “justification” par la bombe.

Le 20 mars 2003 à 21h37, les premiers missiles américains ont déchiré le ciel de Bagdad, marquant le début d’une guerre qui allait avoir des répercussions profondes sur la scène internationale. Sous la direction du président George W. Bush, cette intervention militaire en Irak était justifiée par la menace présumée que ce pays représentait pour la sécurité internationale, notamment en raison de sa possible détention d’armes de destruction massive, y compris des armes nucléaires. 

Cependant, avec le recul, il est apparu que ces prétextes étaient infondés, soulevant des questions sur les véritables motivations de cette guerre et mettant en lumière le paradoxe géopolitique entourant la bombe atomique. L’idéologie américaine a catégorisé l’Irak comme un “Etat-voyou” ou “Rogue State”, un terme péjoratif utilisé pour désigner les États qui ne respectent pas les lois internationales en vigueur et qui adoptent une conduite jugée irrationnelle, terroriste ou suicidaire.

 Cette classification a servi de base à la justification de l’intervention en Irak, tout en suscitant des critiques quant à son application sélective et à son utilisation à des fins politiques. Anthony Lake, conseiller à la sécurité nationale de Bill Clinton, a défini les États voyous comme étant ceux qui manifestent une “incapacité chronique à traiter avec le monde extérieur“. L’utilisation de ce terme, bien que controversée, a fourni un cadre rhétorique pour légitimer l’engagement militaire en Irak. 

Par ailleurs, l’application sélective de cette étiquette soulève des interrogations quant à sa validité et à son objectivité. Le Pakistan, par exemple, a été exempté de cette classification malgré son non-respect du traité de non-prolifération nucléaire en 1968. Cette exemption soulève des doutes quant à la cohérence et à l’impartialité de la politique étrangère américaine. Elle met également en évidence le rôle géopolitique complexe de la bombe atomique et des armes de destruction massive dans les relations internationales. Ces armes sont utilisées comme un moyen de pression et d’influence par les grandes puissances, créant ainsi un paradoxe où certains pays sont sanctionnés tandis que d’autres sont épargnés en fonction de leurs intérêts géostratégiques. 

La guerre en Irak de 2003 a été justifiée par la prétendue possession d’armes de destruction massive par ce pays, y compris des armes nucléaires, qui représentent une menace pour la sécurité internationale. Mais finalement, cette affirmation s’est avérée être fausse, car aucune arme nucléaire n’a été trouvée en Irak – même si des stocks d’armes chimiques périmées ont été mis à jour. 

Comme l’a souligné Robert McNamara , ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, “le monde ne sera jamais en sécurité tant que la menace de la bombe atomique ne sera pas éliminée“. Cette citation souligne l’importance de s’attaquer à la question des armes nucléaires et de leur potentiel destructeur pour assurer la sécurité mondiale. La guerre en Irak de 2003 a mis en lumière l’instrumentalisation de la peur de la bombe atomique par les États-Unis. La peur des armes de destruction massive a servi à favoriser, dans l’opinion publique des pays occidentaux, l’acceptation d’une attaque préventive contre l’Irak, et à dissuader tous les pays qui chercheraient à en acquérir de façon clandestine.

 L’absence de preuves concrètes de l’existence de ces armes en Irak, pourtant attestée par les inspections de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (l’A.I.E.A., travaillant sous l’égide de l’O.N.U.) soulève des questions sur l’intégrité des renseignements utilisés pour justifier cette guerre. Cette manipulation de la peur a eu des implications profondes sur la scène internationale: elle a bouleversé les rapports de force au Moyen-Orient au mépris du droit international, et remis en question la confiance dans les motivations des grandes puissances nucléaires et sur la manière dont elles utilisent leur supériorité militaire. 


2.2/ La guerre en Ukraine: la peur du nucléaire aujourd’hui. 

Le 22 février 2022, la guerre de haute intensité a fait son retour aux portes de l’Europe : la Russie a envahi l’Ukraine, huit ans après l’annexion controversée de la Crimée, afin d’accomplir son projet de “Grande Russie”. Cette agression militaire, orchestrée par le président russe Vladimir Poutine, a suscité de vives inquiétudes quant à l’avenir de la région et à la stabilité mondiale. Le prétexte avancé par la Russie pour justifier cette intervention était la protection des russophones vivant en Ukraine et la défense des intérêts nationaux russes. En réponse à cette agression, l’Ukraine, dirigée par le président Volodymyr Zelensky, a fait preuve d’une résistance farouche, soutenue par la solidarité, l’aide financière et militaire des pays occidentaux.

Cette guerre russo-ukrainienne, qui se poursuit encore aujourd’hui, est marquée par une série de batailles féroces et des souffrances humaines que nul n’aurait pu anticiper dans cette région du monde au début de l’année 2022 . Elle a également mis en lumière une problématique essentielle dans le contexte de l’histoire contemporaine : peut-on véritablement conjurer la peur de l’arme nucléaire en en possédant une ? La tentation pour une grande puissance de susciter la peur par la possession d’une telle arme n’est-elle pas inévitable lorsque ses intérêts sont en jeu?

La bombe atomique est devenue un symbole terrifiant de la puissance destructrice dont l’humanité est capable. Les États qui en possèdent se considèrent comme des acteurs majeurs sur la scène internationale, bénéficiant d’une dissuasion nucléaire censée les protéger contre toute attaque potentielle. La notion de dissuasion nucléaire repose sur l’idée que la menace d’une riposte atomique dissuadera toute agression, car les conséquences seraient trop catastrophiques pour l’agresseur. En ce sens, la détention d’armes nucléaires est considérée comme un moyen de préserver la paix et la sécurité.

Cependant, cette stratégie de dissuasion a engendré une atmosphère de tension permanente entre les puissances nucléaires, contribuant à une course aux armements sans fin, malgré les Traités de Non-Prolifération existant. On aurait pu penser qu’avec la fin de la guerre froide, cette tension disparaitrait, ou du moins s’amenuiserait. Mais la guerre russo-ukrainienne met en évidence la naïveté d’un tel espoir. En effet, ce conflit a ravivé la crainte d’une guerre nucléaire, susceptible de dégénérer en un conflit mondial en raison des jeux d’alliances complexes entre les nations. La Russie, en tant qu’État possédant un arsenal nucléaire important, a délibérément alimenté cette crainte en proférant des menaces à peine voilées concernant une éventuelle utilisation de ces armes destructrices.

De plus, la guerre en Ukraine a également soulevé des préoccupations quant à la prolifération nucléaire. La sécurité des armes nucléaires et des installations nucléaires dans une région en conflit tel que l’Ukraine est devenue une préoccupation majeure. La prise de contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia par les forces russes a suscité des inquiétudes quant à la sûreté de cette installation et à la possibilité de son utilisation à des fins militaires. Cette situation a effacé la frontière déjà fragile entre les usages civils et militaires de l’énergie atomique, soulevant des questions sur les conséquences potentielles de cette fusion des enjeux nucléaires et géopolitiques.

Dans l’ensemble, la peur de l’arme atomique continue de hanter notre époque. Bien que certains pays considèrent la détention d’armes nucléaires comme une nécessité pour leur sécurité, cette réalité crée également un climat de tension internationale et stimule la course aux armements. La guerre russo-ukrainienne est un exemple criant de cette situation paradoxale, où la possession d’armes nucléaires est à la fois perçue comme une menace réelle et un moyen de dissuasion visant à empêcher leur utilisation effective.

Face à cette réalité complexe et préoccupante, il est impératif de poursuivre les efforts diplomatiques et les négociations internationales visant à promouvoir le désarmement nucléaire et à prévenir les conflits armés. Comme l’a si justement dit Albert Einstein : “Je ne sais pas avec quelles armes la Troisième Guerre mondiale sera menée, mais la Quatrième Guerre mondiale se fera avec des bâtons et des pierres.” 

Cette citation nous rappelle la nécessité de trouver des solutions pacifiques aux conflits et d’éviter à tout prix l’escalade nucléaire, afin de préserver l’avenir de notre monde et de garantir la sécurité de tous.


2.3/ Du paradoxe de la détention de l’arme nucléaire

En fin de compte, la peur de la bombe atomique est une réalité constante dans notre monde, en raison de la prolifération des armes nucléaires. Les tensions entre les puissances nucléaires, les menaces terroristes aussi, sont autant de facteurs qui contribuent à alimenter cette peur. Il est donc essentiel que les États travaillent ensemble pour prévenir la prolifération nucléaire et réduire les risques associés à la détention. 

L’histoire de la bombe atomique est marquée par des événements qui ont entraîné la naissance et la propagation de la peur de cette arme de destruction massive. Depuis les premiers essais atomiques jusqu’à nos jours, cette peur a évolué et s’est transformée au gré des conflits géopolitiques, des avancées technologiques et des crises internationales. Peur fantasmée ou peur réelle, la peur de l’arme atomique structure le monde d’aujourd’hui et les équilibres géopolitiques. Tantôt justification d’invasion, tantôt menace visant à empêcher la légitime-défense, l’arme atomique est au cœur des rapports de force internationaux.

Certains analystes comme Bruno Tertrais soutiennent que la détention de la bombe atomique peut offrir une certaine forme de stabilité entre les nations. Cette notion repose sur l’idée que la possession d’armes nucléaires crée une menace suffisamment terrifiante pour dissuader les attaques agressives et éviter les conflits majeurs. L’équilibre de la terreur assure alors la paix: plus il y a d’armes nucléaires, plus il y a la paix, car plus les Etats ont peur des conséquences d’une attaque.  User de l’arme atomique contre un adversaire revient à se suicider soi-même.

Cependant, cette perspective soulève également des inquiétudes quant à la possibilité d’une escalade nucléaire en cas de malentendu, de crise ou d’erreur de jugement. Ainsi, la question de la bombe atomique continue de défier les certitudes et soulève des enjeux cruciaux en matière de sécurité mondiale et de relations internationales.

Conclusion :

     En conclusion, la peur de la bombe atomique est un phénomène complexe qui a émergé dans le monde occidental suite aux événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale. Cette peur a été à la fois décrite et entretenue par le journalisme et la littérature, qui ont mis en évidence les dangers de cette arme de destruction massive dès le lendemain de son usage inaugural et remis en question la science et la technologie et l’impact qu’ils pouvaient avoir sur l’humanité.  L’émergence du roman post-apocalyptique, qui a découlé de cet événement, est la preuve que la peur d’un bombardement imminent est encore bien présent dans les esprits et que les 6 et 9 Août ont marqué le monde entier à jamais.

    Cette peur a également donné naissance à une situation paradoxale sur le plan géopolitique : la détention de l’arme nucléaire est considérée comme un moyen de maintenir la paix en dissuadant les adversaires potentiels d’agir, par peur de voir leur pays rasé et leur population décimée. Ainsi, la peur de la menace nucléaire est combattue par la détention de celle-ci. Cette situation paradoxale est illustrée par l’invasion américaine en Irak en 2003, où la peur du nucléaire est alimentée dans l’opinion pour justifier une intervention militaire préventive. Dans le cas de l’Ukraine, on observe plutôt un chantage à la bombe nucléaire dans le cadre d’un conflit en cours avec le président Vladimir Poutine qui menace d’utiliser les armes nucléaires si les choses venaient à tourner en sa défaveur, lui permettant de limiter les aides militaires internationales à l’Ukraine par cette menace. Cela montre que la peur de la bombe atomique est utilisée à des fins politiques et géopolitiques.

    En fin de compte, la peur de la bombe atomique a marqué la conscience collective de l’humanité. Elle a suscité des débats éthiques et philosophiques sur les limites de la science et de la technologie, ainsi que sur la responsabilité de l’homme, désormais en possession des moyens de son propre anéantissement. Elle a également donné naissance à une situation paradoxale sur le plan géopolitique, qui continue de peser sur les relations internationales. Face à cette réalité complexe et préoccupante, il est important de continuer de sensibiliser le public sur les dangers de l’arme nucléaire et de promouvoir un monde où la paix ne repose plus sur la dissuasion mutuelle par la bombe atomique.

Bibliographie/sources:

Ouvrages littéraires:

  • BARJAVEL, René : Ravage (Denoel, 1943)
  • BERNSTEIN, Barton J. : The Atomic Bomb: The Critical Issues (Little, Brown & co, 1976)
  • BRIN, David : The Postman (Bantam Books, 1985)
  • CHARBONNEAU Bernard, ELLUL Jacques : Nous sommes des révolutionnaires malgré nous (Anthropocène Seuil, 2014)
  • ELLUL, Jacques : La Technique ou l’Enjeu du siècle (Armand Colin, 1954)
  • MERLE,  Robert : Malevil (Editions Gallimard, 1972)
  • TERTRAIS, Bruno : Le Paradoxe nucléaire occidental (dans Les Armes nucléaires ont-elles un avenir? sous la direction de François Heisbourg, Odile Jacobe, 2011)
  • WELLS, H.G. :  La Destruction Libératrice (1914)

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