
Les formes de solidarité face aux catastrophes naturelles
On mai 15, 2025 by labo recherche StandardRédigé par Kenza Ababou et Naim Mamouni
La solidarité désigne le lien social et moral qui unit les individus, les incitant à s’entraider face aux difficultés. Elle repose sur l’empathie, la responsabilité partagée et le sentiment d’appartenance à une communauté. En période de crise, comme lors de catastrophes naturelles, la solidarité se manifeste sous plusieurs formes de soutien aux personnes affectées. Dès lors, nous allons, dans cet article, nous pencher sur cette solidarité particulière pour mieux la comprendre, à travers notamment le cas du séisme ayant frappé le Maroc en 2023.
Le 8 septembre 2023, un séisme de magnitude 6,8 a frappé la province d’Al Haouz au Maroc, provoquant un drame humain et matériel considérable. Le bilan fait état de 2 946 morts et 5 674 blessés, dont plus de 2 500 grièvement atteints. Environ 60 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits, et plus de 600 000 personnes ont été affectées directement ou indirectement par la catastrophe, dont près de 380 000 se sont retrouvées sans abri. Cet événement a suscité une mobilisation nationale et internationale sans précédent.
À la suite du séisme, une importante collecte de fonds a été lancée, atteignant près de 120 milliards de dirhams (soit environ 11,7 milliards de dollars). Cette somme provient à la fois de dons privés et d’aides gouvernementales. Les réseaux sociaux ont joué un rôle central dans la diffusion rapide de l’information, la sensibilisation du public et la coordination des dons. Grâce à leur portée, ils ont permis une réponse immédiate et massive de la population. Ce phénomène illustre la manière dont les outils numériques peuvent amplifier les élans de solidarité. C’est un point de réflexion central que nous développons dans le premier temps de l’analyse.
D’autre part, selon un rapport de Morocco World News, 70 % des dons sont venus de citoyens marocains, 20 % de pays européens et 10 % du reste du monde, ce qui démontre une forte solidarité nationale. Toutefois, une étude montre que les individus ont tendance à se montrer plus solidaires envers ceux qui partagent leur culture, leur religion ou leur nationalité. Ainsi, l’aide n’est pas toujours distribuée uniquement selon les besoins, mais aussi selon des critères identitaires. Cette sélection, parfois inconsciente, soulève la question de l’universalité de la solidarité : sommes-nous tous égaux face à l’aide ? Cette question constitue le second temps de l’analyse.
Au cours de notre enquête, nous avons interrogé deux types de donateurs. La première responsable d’association , s’est rendue sur place après avoir évalué la situation pour organiser une réponse ciblée et efficace. Le second, un citoyen ordinaire, a réagi de manière plus spontanée, sans prendre le temps de se renseigner sur les besoins réels. En apportant des vivres périssables ou des objets redondants, il a contribué, sans le vouloir, à une mauvaise répartition de l’aide. Certains villages, très médiatisés, ont reçu une abondance de dons, tandis que d’autres zones moins visibles sont restées délaissées. Cela soulève une autre interrogation : existe-t-il un risque de déséquilibre dans la générosité ? Il est évident qu’il peut y avoir un manque de solidarité parfois criant dans bien des cas. Mais peut-on parler, paradoxalement, d’une « trop grande » solidarité dans certains cas ? Notre troisième axe d’analyse tente d’apporter des réponses à ce problème.
Axe 1 : l’impact des réseaux sociaux sur l’aide aux victimes après une catastrophe naturelle
La solidarité sur les réseaux sociaux lors des catastrophes naturelles désigne le soutien collectif et l’engagement communautaire favorisés par les plateformes numériques en réponse à des catastrophes naturelles. Le rôle des réseaux sociaux est devenu de plus en plus essentiel pour faciliter la communication , la coordination et la solidarité entre les individus et les communautés touchées. Le rôle des réseaux sociaux est devenu de plus en plus essentiel dans la gestion des catastrophes naturelles, notamment à travers trois étapes clés : la communication, la coordination et la solidarité. Tout d’abord, ils permettent une diffusion rapide et large des informations, offrant aux populations touchées et aux secours un accès immédiat aux données sur la situation, ce qui facilite la prise de décision et limite la désinformation. Ensuite, les réseaux sociaux favorisent la coordination entre les différents acteurs : secouristes, autorités, bénévoles et citoyens peuvent se connecter rapidement, partager des besoins précis et organiser efficacement les interventions sur le terrain. Enfin, ces plateformes renforcent la solidarité en créant un espace virtuel où les appels à l’aide, les campagnes de dons et les initiatives citoyennes peuvent se propager rapidement, mobilisant ainsi un large soutien, souvent au-delà des frontières. Grâce à cette dynamique, les réseaux sociaux jouent un rôle crucial pour améliorer la réactivité et l’efficacité des secours lors des catastrophes naturelles.
Ce phénomène se distingue par sa capacité à mobiliser des ressources, à partager des récits personnels et à lutter contre la désinformation, ce qui a un impact direct sur les efforts de gestion des catastrophes à l’échelle mondiale
Historiquement, des catastrophes majeures ont mis en évidence le potentiel des réseaux sociaux en tant qu’outil de solidarité. Des événements comme l’ouragan Katrina en 2005, le tremblement de terre et le tsunami au Japon en 2011 ou plus récemment les tremblements de terre à Al Haouz au Maroc ont souligné l’importance du partage d’informations en temps réel, permettant aux organisations et aux individus de coordonner leurs réponses de manière efficace et d’identifier les zones ayant un besoin urgent d’assistance. Des plateformes comme Twitter, Instagram, TikTok, GoFundMe et Facebook ont transformé la manière dont les communautés se connectent pendant les crises, permettant aux utilisateurs de partager leurs expériences et de mobiliser du soutien, renforçant ainsi la résilience collective face à ces tristes événements
Historiquement, des catastrophes majeures comme l’ouragan Katrina en 2005, le tremblement de terre et tsunami au Japon en 2011, ou plus récemment les séismes à Al Haouz au Maroc, ont mis en lumière le rôle concret des réseaux sociaux dans la solidarité et la gestion de crise. Concrètement, ces plateformes ont permis un partage d’informations en temps réel, grâce aux témoignages et aux messages géolocalisés postés par les victimes et témoins directs. Par exemple, lors du séisme en Ardèche en 2019, des tweets géolocalisés ont aidé à identifier rapidement les zones les plus touchées, facilitant ainsi l’intervention des secours.
Les réseaux sociaux comme Twitter (devenu X), Facebook, Instagram ou TikTok ont aussi servi d’outils de coordination. En utilisant des hashtags dédiés ou des groupes spécifiques, les organisations humanitaires et les citoyens ont pu organiser des appels à l’aide, des collectes de fonds via des plateformes comme GoFundMe, et partager des informations précises sur les besoins urgents. Cette mobilisation numérique a permis d’orienter efficacement les ressources, d’éviter les doublons et d’optimiser la logistique des secours.
Certaines plateformes comme Twitter ont facilité l’accès de données pour certains projets, ou des influenceurs locaux relayant les appels à l’aide, ont amplifié la portée des messages, renforçant la solidarité collective. Par ailleurs, des projets innovants comme RéSoCIO ont développé des outils d’intelligence artificielle capables d’analyser automatiquement ces millions de posts pour extraire les informations les plus pertinentes, géolocaliser les sinistres et classer les urgences, ce qui améliore considérablement la prise de décision en temps réel.
Ainsi, les réseaux sociaux ne sont pas seulement des canaux d’information, mais de véritables capteurs humains sur le terrain, transformant la manière dont les crises sont gérées, en rendant possible une réponse plus rapide, mieux ciblée et largement soutenue par la communauté mondiale.
Par exemple, l’application GoFundMe, qui est une plateforme américaine de financement participatif (crowdfunding) qui permet aux particuliers, groupes ou associations de collecter des fonds en ligne pour diverses causes personnelles ou collectives. Fondée en 2010, elle est devenue l’une des principales plateformes mondiales dans ce domaine, avec plus de 30 milliards de dollars levés depuis sa création.
GoFundMe est une plateforme américaine de financement participatif (crowdfunding) créée en 2010, qui permet à des particuliers, groupes ou associations de collecter des fonds en ligne pour diverses causes personnelles ou collectives. Depuis sa création, elle a facilité la mobilisation de millions de personnes autour de besoins urgents, en offrant un outil accessible pour transformer la solidarité en aide concrète. Par exemple, durant la période de mars à août 2020, en pleine crise liée à la pandémie de COVID-19, GoFundMe a permis de lever plus de 600 millions de dollars spécifiquement pour soutenir les personnes et les communautés confrontées à des difficultés liées à la crise sanitaire.
Cette plateforme ne se limite pas à la simple collecte d’argent : elle offre un espace où les bénéficiaires peuvent raconter leur histoire, expliquer leurs besoins précis et recevoir un soutien rapide et sécurisé de la part de leur réseau et au-delà. Les fonds collectés servent souvent à couvrir des dépenses immédiates telles que les soins médicaux, le logement temporaire ou les fournitures essentielles, notamment dans des situations d’urgence ou de catastrophe naturelle. GoFundMe veille également à la transparence et à la sécurité des transactions, avec des mécanismes pour détecter et limiter les abus, afin de garantir que les dons parviennent bien aux personnes dans le besoin.
Ainsi, GoFundMe joue un rôle important en complément des dispositifs institutionnels d’aide, en permettant une réponse plus rapide et personnalisée, portée par la mobilisation directe des communautés et des citoyens. Cette forme de solidarité numérique illustre comment les outils en ligne peuvent renforcer l’entraide, tout en invitant à une utilisation responsable et éthique des plateformes de financement participatif.
Les plateformes sociales créent des opportunités pour un engagement communautaire renforcé, où les utilisateurs peuvent se rassembler pour soutenir ceux qui en ont besoin. Cet engagement se manifeste souvent par le partage d’histoires personnelles, des lanceurs d’alerte et des appels à l’aide, ce qui peut créer une sorte d’appartenance commune parmi les personnes confrontées aux catastrophes et aussi parmi ceux qui ne sont pas victimes de celle-ci.
Les plateformes sociales offrent un espace où les utilisateurs peuvent se rassembler pour soutenir ceux qui traversent des catastrophes. Par exemple, lors de l’ouragan Katrina en 2005, des citoyens ont coordonné des secours improvisés grâce aux réseaux sociaux, créant un fort sentiment de solidarité. Après le tremblement de terre au Mexique en 2017, Twitter a permis de partager des informations en temps réel et de localiser les personnes en danger. Plus récemment, en Turquie et au Maroc, les réseaux sociaux ont facilité la diffusion d’appels à l’aide, la collecte de dons et la coordination des secours, notamment grâce à des hashtags et des plateformes numériques. Ces échanges, mêlant témoignages personnels et alertes, ont renforcé un sentiment d’appartenance commune, mobilisant autant les victimes que ceux qui souhaitent les aider, même à distance.
La possibilité de rester à jour grâce aux réseaux sociaux en temps réel permet aux ONG, aux autorités et aux communautés de rester informées sur l’évolution de la catastrophe. Cette vigilance permet d’identifier les menaces et de traiter rapidement les problèmes.
Concrètement, les réseaux sociaux offrent un canal rapide pour signaler les urgences, coordonner les efforts des groupes de bénévoles et diffuser des consignes de sécurité. Ils ont aussi permis de repérer des personnes isolées ou en danger grâce aux messages géolocalisés et aux appels relayés massivement. Cette vigilance en temps réel a renforcé la capacité des ONG et des autorités à adapter leur réponse face à l’évolution de la situation, malgré les limites initiales des institutions officielles comme la FEMA (Federal Emergency Management Agency).
Les réseaux sociaux humanisent l’expérience des catastrophes naturelles en offrant une plateforme où les personnes concernées peuvent partager leurs histoires personnelles de survie ou d’héroïsme. Ces récits peuvent apporter de l’espoir et du réconfort à d’autres personnes qui souffrent et aider à créer un sentiment d’unité, alors que des gens du monde entier expriment leur soutien et leur aide, qu’elle soit financière ou émotionnelle. Ce partage d’expériences humaines favorise l’empathie et la connexion entre les utilisateurs, renforçant ainsi cette solidarité mécanique.
Les réseaux sociaux offrent une plateforme où les personnes touchées par des catastrophes naturelles peuvent partager leurs expériences personnelles de survie, de solidarité ou d’entraide. Ces récits, souvent publiés en temps réel, apportent espoir et réconfort à d’autres victimes tout en créant un lien entre elles et les internautes du monde entier. Par exemple, lors du séisme du Teil en 2019 ou de la tempête Alex en 2020, des témoignages, photos et vidéos diffusés sur Twitter et Facebook ont permis non seulement d’informer sur la situation sur le terrain, mais aussi de susciter une forte mobilisation collective.
Ce partage d’expériences favorise l’empathie et la connexion entre utilisateurs, renforçant ainsi une forme de solidarité numérique qui dépasse les simples échanges d’informations.
Cependant, l’utilisation des réseaux sociaux dans ces situations de catastrophe n’est pas parfaite et fait face encore à de nombreux obstacles. Les inégalités en terme d’accès à internet et à l’information peuvent aggraver ces inégalités, rendant les communautés marginalisées encore plus vulnérables pendant les crises. En effet, les populations dans une zone où l’accès à Internet ou aux lignes téléphoniques est mal connecté, ces derniers ne recevront pas autant d’aide que les sinistrés dans une zone bien connectée à ces outils de communication.
Un des effets négatifs majeurs des réseaux sociaux est la propagation rapide de la désinformation, ce qui peut entraîner de la confusion, de la panique et des conséquences potentiellement graves pour les personnes touchées par la catastrophe. Celle-ci peut entraîner des retards dans les efforts d’évacuation et d’aide, augmentant le risque de blessures ou de décès.
Un exemple récent illustrant les effets négatifs de la désinformation sur les réseaux sociaux est celui de l’ouragan Hélène en 2024. Dès les premiers jours de la tempête, une vague de fausses informations s’est propagée, notamment des rumeurs affirmant que l’ouragan avait été créé ou manipulé par un programme gouvernemental secret, ou qu’il serait apparu « de nulle part » sur les cartes météorologiques. Ces fausses nouvelles, souvent motivées par des convictions idéologiques, ont semé la confusion parmi la population, compliquant la compréhension réelle de la situation et la confiance envers les autorités.
Cette désinformation peut avoir des conséquences graves : elle retarde les efforts d’évacuation et d’aide en semant la panique ou en incitant certains à ignorer les consignes officielles, augmentant ainsi les risques de blessures ou de décès. Par exemple, lors de catastrophes précédentes, des rumeurs infondées sur les réseaux sociaux ont conduit à des mouvements de foule désorganisés ou à des comportements dangereux, perturbant les opérations de secours.
De manière générale, les réseaux sociaux sont un terrain propice à la circulation rapide de rumeurs, comme l’illustre la réapparition régulière de fausses images ou vidéos lors d’inondations ou de feux de forêt, qui peuvent détourner l’attention des véritables zones sinistrées et compliquer la gestion de crise . Ces phénomènes soulignent l’importance cruciale de dispositifs de vérification et de lutte contre la désinformation, ainsi que la nécessité pour les autorités et les ONG de diffuser des informations fiables et accessibles en temps réel pour protéger les populations.
Pour résoudre ce problème, les plateformes de réseaux sociaux doivent renforcer leur système de prévention de fake news.
Les problèmes d’accessibilité constituent également des obstacles majeurs à une communication efficace pendant les catastrophes. Par exemple, lors de l’ouragan Katrina en 2005, on peut voir que les communautés marginalisées rencontrent souvent des difficultés pour accéder à des informations et des ressources en raison de la disponibilité limitée d’internet et des ressources technologiques. Cela aggrave les inégalités existantes, rendant plus difficile pour les populations touchées de recevoir l’aide nécessaire et les mises à jour cruciales.
En effet, durant cette même catastrophe, en Nouvelle-Orléans, 45% des foyers les plus touchés n’avaient ni accès à Internet ni accès à un téléphone mobile. De plus, 67% des personnes touchées avaient plus de 60 ans, ces derniers n’avaient également ni téléphone mobile ni accès à Internet. Ces communautés, majoritairement peuplées par des Afro-Américains, étaient déjà marginalisés,et très pauvres. En conséquent, ils n’ont pas reçu les plans d’évacuation à temps, n’ont pas accédé aux plateformes en ligne où l’on diffusait les informations sur les aides, les abris, ou les zones dangereuses. De nombreuses personnes témoignent qu’elles étaient restées isolées sans aide pendant plusieurs jours. Il y’a donc une véritable marginalisation des communautés déjà vulnérables causées par l’absence technologique, prouvant le rôle indéniable des réseaux sociaux durant l’après catastrophes naturelles.
Le séisme dévastateur qui a frappé la région d’Al Haouz le 8 septembre 2023, causant près de 2 960 morts et des dégâts matériels colossaux avec plus de 59 000 bâtiments endommagés, a mis en lumière le rôle crucial des médias dans la gestion de la crise, notamment en tant qu’amplificateurs de la solidarité, mécanisme qui élargit et miultiplie les bienfaits de la solidarité, et correcteurs de la solidarité, mécanisme qui corrige l’inégalité de la répartition de la solidarité. En effet, face à une tragédie d’une telle ampleur, les médias traditionnels et numériques ont joué un rôle déterminant pour mobiliser la population, coordonner les secours et garantir une transparence essentielle dans la distribution de l’aide.
Concrètement, grâce à la rapidité et à la portée des réseaux sociaux, la collecte de dons a atteint des montants sans précédent. Par exemple, le Fonds spécial mis en place pour la gestion des impacts du séisme a recueilli plus de 10,4 milliards de dirhams (environ 1 milliard d’euros) en quelques semaines, incluant des contributions majeures comme le don d’un milliard de dirhams du Roi Mohammed VI et des apports importants d’entreprises, d’institutions et de particuliers. Ces chiffres témoignent d’une mobilisation massive facilitée par la visibilité et la viralité offertes par les plateformes numériques.
En comparaison, lors de catastrophes majeures avant l’avènement des réseaux sociaux, les collectes de fonds étaient souvent plus lentes et moins étendues. Par exemple, lors du tremblement de terre de 1999 en Turquie, les dons internationaux ont mis plusieurs mois à atteindre des centaines de millions de dollars, sans la rapidité ni la coordination permises aujourd’hui par les médias sociaux.
De même, pour le séisme d’Haïti en 2010, bien que les réseaux sociaux aient commencé à jouer un rôle, les montants collectés initialement étaient plus modestes et la coordination plus complexe.
Ainsi, l’émergence des réseaux sociaux a transformé la manière dont la solidarité s’exprime et s’organise lors des catastrophes naturelles, en accélérant la mobilisation des ressources financières et humaines, en améliorant la transparence des dons et en renforçant l’engagement citoyen à une échelle locale et internationale.
Dès les premières heures suivant le séisme à Al haouz, les réseaux sociaux ont été le principal vecteur d’information et de mobilisation. Selon une enquête menée entre octobre et décembre 2023 auprès de 2 000 Marocains, 64 % des personnes interrogées ont déclaré avoir participé à une forme d’aide aux victimes, qu’il s’agisse de dons financiers, de matériel ou de bénévolat. Cette forte mobilisation citoyenne a été largement encouragée par la visibilité offerte par les médias, qui ont relayé en temps réel les appels à l’aide, les besoins urgents et les initiatives solidaires.
Les plateformes comme Facebook, WhatsApp, TikTok et Instagram ont permis une diffusion rapide et massive des informations, facilitant la coordination entre les secours, les associations et les citoyens. Par exemple, plus de 77 % des sondés ont exprimé une perception positive du rôle des influenceurs et des journalistes sur ces plateformes, soulignant leur efficacité à mobiliser et sensibiliser. Cette dynamique a également favorisé la participation de la diaspora marocaine, qui a contribué à hauteur de plusieurs centaines de millions de dirhams.
Les réseaux sociaux ont joué un rôle spécifique et déterminant dans la mobilisation de la diaspora marocaine suite au séisme d’Al Haouz en septembre 2023. En effet, ces plateformes ont servi de vecteurs rapides et efficaces pour diffuser les appels à l’aide, organiser des collectes de fonds et coordonner les actions de solidarité à distance. Par exemple, sur WhatsApp, Facebook ou Instagram, des membres de la diaspora ont lancé des campagnes de sensibilisation et des cagnottes en ligne, comme celle initiée par Sarah Jaidi et Othmane Lamrini en France, qui a réuni plus de 800 000 euros grâce à plus de 18 000 donateurs, dont des personnalités comme le footballeur Achraf Hakimi.
Cette connectivité numérique a permis aux Marocains résidant à l’étranger (MRE) de rester informés en temps réel des besoins spécifiques des zones sinistrées, grâce à des contacts directs sur place. Cette proximité virtuelle a aidé à orienter les dons vers des villages moins desservis, évitant ainsi une dispersion inefficace de l’aide. Par ailleurs, les réseaux sociaux ont favorisé la transparence des collectes, avec des associations comme Humanow publiant régulièrement les factures et rapports d’utilisation des fonds, renforçant la confiance des donateurs.
Ainsi, les plateformes sociales ont offert à la diaspora un espace d’engagement collectif, où l’appartenance culturelle et émotionnelle s’est traduite par une mobilisation massive et organisée.
Cette dynamique a permis de transformer la solidarité virtuelle en actions concrètes, financières et logistiques, renforçant l’efficacité de l’aide apportée aux victimes du séisme.
Le Fonds spécial séisme, créé pour centraliser les dons de plusieurs médias : Al Aoula, 2M, Medi1 TV, RMC, Hit Radio, Chada FM , L’Économiste, Le Matin, Maroc Hebdo, Medias24, Le360, Hespress et également l’AFP et Reuters ont recueilli plus de 6 milliards de dirhams, une somme record largement médiatisée qui a encouragé encore davantage de contributions. Cette visibilité médiatique a donc joué un rôle d’amplificateur, transformant un élan individuel en une mobilisation collective d’envergure nationale et internationale.
Cependant, cette amplification n’a pas été sans défis. La circulation rapide des informations sur les réseaux sociaux a encore une fois favorisé la propagation de fausses nouvelles et de rumeurs, qui pouvaient nuire à la gestion efficace de la crise. Selon la même enquête, 42 % des répondants ont signalé avoir été confrontés à des informations erronées ou exagérées. Face à cela, les médias ont assumé un rôle correcteur essentiel en vérifiant les faits, en démentant les fake news et en orientant les discours vers des informations fiables et constructives.
Après le séisme d’Al Haouz, plusieurs fausses informations ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux, compliquant la gestion de la crise. Par exemple, une rumeur alarmiste annonçait un tsunami imminent entre le 19 et le 21 septembre 2023, basé sur les déclarations erronées d’un Néerlandais présenté comme expert en sismologie. De plus, des images anciennes ont été partagées à tort pour illustrer les dégâts récents, et des fausses nouvelles concernant la suspension des cours ou des hausses abusives des tarifs de transport ont également semé la confusion.
Face à cette désinformation, les médias ont joué un rôle essentiel en vérifiant les faits et en démentant ces fausses informations. Ils ont orienté les discours vers des informations fiables et constructives, c’est-à-dire qu’ils ne se sont pas contentés de réfuter les rumeurs, mais ont aussi diffusé des contenus précis, sourcés et pédagogiques. Ils ont publié des communiqués officiels, expliqué les limites des prévisions sismologiques et partagé des conseils pratiques pour la sécurité. Cette approche a permis de calmer les inquiétudes, de renforcer la confiance dans les sources officielles et d’encourager un comportement responsable, contribuant ainsi à une gestion plus sereine et efficace de la crise.
Axe 2 : le biais de favoritisme intragroupe dans l’aide aux victimes après une catastrophe naturelle.
L’étude « Solidarity with everyone? Intergroup helping and COVID-19” de 2023 révèle que la solidarité pendant la crise du COVID-19 en Allemagne était influencée par des motifs ethniques. À travers une expérience (1 980 demandes d’aide distribuées dans 11 villes), les chercheurs ont constaté que les personnes portant un nom allemand (par exemple : Angelika Schneider) recevaient significativement plus d’offres d’aide (299 offres) que celles avec un nom turc (Ayşe Yılmaz, 227 offres) ou chinois (Xiu Ying Wang, 244 offres), malgré des besoins identiques.
Cette discrimination s’explique en partie par un favoritisme entre groupe ethnique : les répondants allemands (86 % des aides) aidaient davantage les noms allemands, tandis que les minorités turques (6 % des aides) se montraient plus solidaires envers leurs pairs. Cela montre que les liens ethniques jouent un rôle important dans la manière dont les individus réagissent face à la souffrance des autres. En effet, les individus se sentent généralement plus proches de ceux qui partagent leur culture et leur origine, ce qui les pousse à offrir plus de soutien, que ce soit sous forme de dons, de bénévolat ou d’aide directe. Cependant, l’étude a aussi révélé que le genre n’avait pas d’effet notable sur la solidarité, ce qui montre que, dans ce cas précis, la répartition de l’aide n’était pas influencée par le genre des receveurs.
Lors des catastrophes naturelles, ce phénomène peut avoir des conséquences importantes. Par exemple, lorsqu’une catastrophe frappe un pays, les habitants peuvent être plus enclins à aider leurs concitoyens, surtout ceux qui appartiennent à la même ethnie ou communauté, religieuse, culturelle, ou bien des ethnies différentes mais proches. Cela peut créer un sentiment d’unité et de solidarité au sein de certains groupes, mais aussi des inégalités dans l’aide apportée à d’autres groupes moins proches ethniquement. Cela peut rendre la gestion des secours plus complexe, car certaines communautés risquent d’être négligées ou moins soutenues, simplement parce qu’elles ne font pas partie du même groupe ethnique ou culturel. En revanche, la solidarité mondiale lors des catastrophes, grâce aux réseaux sociaux et aux médias, permet de dépasser ces barrières ethniques et de réunir des personnes pour aider les victimes, montrant ainsi que la solidarité peut transcender les différences culturelles et ethniques lorsque la situation l’exige.
Dès lors, nous pouvons nuancer voire même opposer les cas de catastrophes naturelles, plus précisément de séisme, à Haïti, en 2008, et à Al Haouz, au Maroc, en 2023. On a d’une part, au Maroc, une mobilisation importante, poussée par les marocains et la diaspora, ainsi que les étrangers. La diaspora marocaine a joué un rôle clé dans cette mobilisation, constitué de 5 millions de personnes, réparties dans des pays économiques puissants tels que la France, les États-Unis, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas, dont les transferts de fonds en 2023 ont presque atteint 10 milliards d’euros. Bien que cette diaspora ne soit pas hétérogènement riche, les chiffres témoignent d’un pouvoir économique puissant. En outre, en 2023, le Maroc a accueilli près de 15 millions de touristes étrangers, ce qui rend de lui un pays connu du monde, notamment de l’Europe. Les étrangers, qui peuvent se sentir proches de ce pays ont également contribué à cette mobilisation.
D’autre part, Haïti n’a pas pu bénéficier du même élan. La diaspora haïtienne est aussi nombreuse que la diaspora marocaine (5 millions de personnes), mais dont les transferts de fonds sont deux fois moins importants (4,5 milliards d’euro en 2023), elle est donc moins dotée économiquement. De plus, le tourisme à Haïti est beaucoup moins important qu’au Maroc, en 2023, ce pays a accueilli 40 000 touristes, et est généralement inconnu du grand public, principalement à cause de la précarité des conditions de vie. Ces disparités soulignent donc un enjeu critique, une certaine solidarité “intra-éthnique”, et une présence mondiale plus ou moins forte pour une réception plus importante de la solidarité.
En outre, la sélection de receveur de solidarité n’est ni anodine ni aléatoire : elle révèle parfois un certain paternalisme, dans la mesure où elle repose sur des jugements implicites sur qui mérite d’être aidé selon quels critères.
Le paternalisme se manifeste lorsque des décisions sont prises « d’en haut » pour aider des personnes, comme un père qui donne à manger à ses enfants. Cette forme de solidarité peut être perçue comme moralisante, car elle nie l’autonomie des personnes aidées et impose une vision unilatérale de ce qui est juste ou nécessaire.
Axe 3 : manque et excès de solidarité après une catastrophe naturelle.
Cette inégale répartition de l’attention soulève la question du trop versus du pas assez. D’un côté, certains grands événements reçoivent une solidarité immense mais parfois déséquilibrée : après la guerre en Ukraine en 2022, la réponse internationale a été colossale (les gouvernements et organisations privées ont promis environ 3,7 milliards de dollars d’aide pour l’Ukraine et ses réfugiés en quelques mois). En comparaison, à la même période, seuls 2 milliards ont été collectés pour le Yémen, où plus de 17 millions de personnes souffraient de faim aiguë. Cela illustre un déséquilibre de médiatisation : certaines catastrophes reçoivent un véritable privilège humanitaire, tandis que d’autres restent négligées.
D’un autre côté, un afflux trop massif et mal coordonné d’aide peut lui aussi devenir problématique. Le cas du tremblement de terre haïtien de 2010 est éclairant : l’aéroport de Port- au-Prince fut par exemple littéralement encombré par des cargaisons non sollicitées (vêtements usagés, batteries, jouets, etc.), au point que des avions transportant des médicaments urgents ont dû atterrir ailleurs, retardant ainsi les secours critiques. Au total, on estime qu’environ 60 % des articles collectés après une catastrophe se révèlent inutilisables. Ces biens, souvent inadaptés, peuvent encombrer les infrastructures locales et détourner les secours de leurs tâches essentielles.
Dons non sollicités de vêtements usagés, d’eau en bouteille, de conserves et de produits d’hygiène personnelle se sont accumulés après le séisme de 2010 en Haïti, sur la piste d’atterrissage à Port-au-Prince. Il a fallu les déblayer pour laisser de la place aux livraisons de secours essentiels. © Center for International Disaster Information
En réponse, les experts humanitaires recommandent de privilégier les dons financiers : comme le souligne Julia Brooks (Harvard Humanitarian Initiative), donner de l’argent permet aux organisations d’acheter exactement ce qui est nécessaire sur place, évitant l’envoi d’articles superflus. Il s’agit de trouver un équilibre. La solidarité internationale ne doit pas être mesurée uniquement en quantité d’argent collecté, mais en qualité d’intervention et de suivi. Les « élans du moment » doivent être canalisés vers des actions efficaces et durables, en évitant l’écueil de l’aide- inondation chaotique. Dans la durée, on doit également veiller à maintenir l’attention sur les crises moins spectaculaires : chaque victime d’une catastrophe mérite un soutien adapté, qu’elle soit sous les projecteurs des médias ou pas.
La solidarité internationale ne se mesure pas uniquement par le volume des fonds collectés, mais aussi par la pertinence des interventions et la qualité du suivi. Les mobilisations spontanées, souvent intenses au début d’une crise, trouvent leur véritable impact lorsqu’elles se traduisent par des actions ciblées et durables. Par ailleurs, certaines crises moins médiatisées continuent de nécessiter une attention constante, car chaque victime, qu’elle soit sous les projecteurs des médias ou non, bénéficie d’un soutien adapté.
L’individualisme peut conduire à un choix sélectif de ceux que l’on aide, ce qui peut être perçu comme un excès ou un défaut de solidarité collective. Cependant, cet individualisme n’est pas toujours synonyme d’égoïsme : certains individus choisissent d’aider selon une raison qui leur est propre (par exemple, pour enrichir leur expérience personnelle ou leur réseau social), ce qui peut aussi renforcer le lien social d’une autre manière
Dans le cadre de catastrophes naturelles, le paternalisme, mentionné dans l’axe précédent peut entraîner une mauvaise adéquation entre les aides apportées et les besoins réels des victimes, créant ainsi une solidarité inefficace ou mal adaptée.
On parle souvent d’« individualisme » pour expliquer le choix sélectif de ceux que l’on aide, mais ce terme ne rend pas compte de la réalité psychologique et sociale dans les situations de catastrophe. Il serait plus juste d’évoquer le phénomène d’empathie sélective, c’est-à-dire la tendance à ressentir plus d’empathie et donc à manifester davantage de solidarité envers les personnes qui nous ressemblent ou appartiennent à notre groupe social, culturel ou géographique. Cette empathie sélective, loin d’être synonyme d’égoïsme, s’inscrit dans un processus collectif où l’appartenance à un même groupe, des valeurs ou des expériences communes favorisent la mobilisation. Ainsi, certains choisissent d’aider pour des raisons personnelles, comme le désir d’enrichir leur expérience ou d’élargir leur réseau, ce qui peut tout de même renforcer le lien social, mais selon des modalités qui excluent parfois les plus éloignés ou les plus différents.
Par exemple, lors de la guerre en Ukraine, l’élan de solidarité en Europe a été nettement plus fort que pour d’autres crises, comme celle des réfugiés syriens ou yéménites, en raison d’une proximité perçue sur le plan culturel, ethnique et/ou géographique. Ce mécanisme d’empathie sélective, bien documenté par les neurosciences et la sociologie, explique pourquoi la solidarité collective peut se révéler inégale, voire injuste, en fonction des bénéficiaires.
Cette tendance à la sélection des bénéficiaires de l’aide n’est pas sans conséquences sur l’efficacité et la pertinence de la solidarité, notamment lorsqu’elle se conjugue à des logiques paternalistes dans la gestion des catastrophes naturelles.
En effet, le paternalisme, déjà évoqué précédemment, peut aggraver cette inadéquation : il conduit souvent à imposer des formes d’aide qui ne correspondent pas aux besoins réels des victimes, au lieu de les associer à la définition de leurs priorités. Par exemple, lors du séisme en Haïti en 2010, de nombreuses ONG ont distribué des biens ou organisé des actions sans réelle consultation des populations locales, ce qui a abouti à des ressources mal adaptées ou sous-utilisées, et parfois à une dépendance prolongée à l’aide extérieure. Ce type d’intervention, guidé par une empathie sélective et un regard paternaliste, aboutit à une solidarité inefficace, voire contre-productive, et souligne la nécessité de repenser la manière dont nous construisons et distribuons l’aide en situation d’urgence.
Conclusion
Nous avons d’abord constaté que les réseaux sociaux ont profondément transformé la gestion des catastrophes naturelles. En facilitant la diffusion quasi instantanée d’informations et la mise en relation des acteurs de terrain, ils renforcent la réactivité des secours et encouragent l’engagement citoyen. Toutefois, cette révolution numérique s’accompagne de risques majeurs, notamment la désinformation et les inégalités d’accès à l’information. Cela impose aux plateformes de renforcer leurs dispositifs de vérification et de travailler en étroite collaboration avec les autorités.
Par ailleurs, la solidarité virtuelle, née de l’appartenance à un même réseau social, a montré un effet démultiplicateur dans le réel. La mobilisation en ligne permet de fédérer rapidement un grand nombre de personnes autour d’une cause, amplifiant ainsi l’impact des actions solidaires sur le terrain.
Nous avons également observé une tendance à privilégier les bénéficiaires culturellement ou ethniquement proches, ce qui, s’il renforce la solidarité interne, risque d’accentuer les inégalités dans la distribution de l’aide et de marginaliser les populations vulnérables. Face à cela, médias numériques et traditionnels cherchent à promouvoir une solidarité plus inclusive et équitable à l’échelle mondiale.
Enfin, l’étude de l’« excès » et du « manque » de solidarité souligne l’importance de privilégier la qualité sur la quantité. Un afflux massif de dons non coordonnés peut entraver les secours, alors que des contributions ciblées et réfléchies maximisent l’efficacité de l’aide humanitaire.
À l’avenir, la solidarité virtuelle pourrait encore s’intensifier grâce aux innovations technologiques, permettant à chacun de s’impliquer, où qu’il soit dans le monde. Cette évolution soulève la question d’une solidarité globale, plus inclusive et agile, capable de répondre aux défis humanitaires de demain tout en renforçant le sentiment d’appartenance à une communauté mondiale connectée.
Sources :
http://www.cg.gov.ma/fr/node/11506
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