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DESLABLe Laboratoire de recherche en sciences humaines du lycée Descartes de Rabat
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Publications

L’engagement et la mobilisation solidaires par le sport.

On mai 14, 2025 by labo recherche Standard

Rédigé par Malak Skalante et Marwane Hmini

Introduction

Au cœur de notre société contemporaine, le sport s’impose comme un vecteur de lien social — un phénomène sociologique représentant la force des interactions entre individus créant des communautés basées sur des valeurs communes et des objectifs collectifs — et d’engagement citoyen. Bien au-delà de l’exploit individuel ou de la compétition, les manifestations sportives constituent aujourd’hui des espaces de rencontre où se conjuguent passion, dépassement de soi et solidarité. Dans ce contexte, le sport est de plus en plus perçu non seulement comme une activité de performance, mais également comme un moyen efficace de mobiliser des ressources et de soutenir des causes sociales majeures. Cette double dimension – performance et engagement – donne naissance à des initiatives innovantes qui allient rigueur sportive et vocation altruiste.

Mais qu’appelle-t-on exactement un événement sportif ? Il ne s’agit pas de toute activité physique ou conviviale. Un concours de tricot ou une simple randonnée entre amis, même organisés pour une bonne cause, ne répondent pas à cette définition. Un événement sportif, au sens strict, repose sur une pratique physique encadrée, mesurable et souvent collective, impliquant un effort, une discipline, une organisation formelle (inscriptions, parcours, temps, classement ou défi) et une visibilité médiatique potentielle. C’est cette structure particulière, fondée sur le dépassement de soi, l’exigence physique, et parfois la compétition ou le défi symbolique, qui lui permet de devenir un levier puissant de mobilisation solidaire.

L’idée que le cadre sportif favorise l’émergence d’un esprit solidaire n’est pas nouvelle, mais elle s’est intensifiée au fil des années avec la montée en popularité des événements sportifs solidaires. En effet, depuis le début du 20e siècle, des événements comme les marathons ou les courses caritatives ont permis de concilier la pratique sportive avec la collecte de fonds pour des causes sociales. Dès lors que l’effort physique se conjugue avec la volonté de venir en aide à autrui, ce n’est pas uniquement l’aspect médiatique du sport qui est en jeu, mais bien sa capacité propre à rassembler, motiver et fédérer autour d’une cause commune. Le phénomène se mue alors en une véritable dynamique de partage et d’union collective, où l’action sportive devient le support d’un engagement solidaire. Des marathons aux courses caritatives, des défis cyclistes aux épreuves d’endurance, les événements sportifs se transforment en occasions de recueillir des dons, de sensibiliser le grand public à des problématiques sociétales, et de renforcer le tissu social. Le sport devient alors le théâtre d’une mise en commun d’efforts – tant individuels que collectifs – au service d’un objectif commun : améliorer le quotidien des plus vulnérables ou soutenir des projets d’intérêt général. Par exemple, des événements comme le « Marathon des Sables » ou « La Course des Héros » permettent de collecter des fonds pour diverses causes humanitaires.

Cette transformation du sport en outil d’action sociale s’inscrit dans une démarche plus large de redéfinition de la citoyenneté. Dans un monde marqué par des inégalités persistantes et des crises sociales, écologiques et sanitaires récurrentes, l’implication dans des actions solidaires apparaît comme une forme de résistance collective et d’engagement actif. Il ne s’agit plus seulement de pratiquer un sport, mais de lui donner un sens. Ainsi, le sport se transforme en un instrument de répartition des richesses symboliques et matérielles, tout en renforçant le sentiment d’appartenance à une communauté partageant des valeurs communes.  D’un côté, les ressources matérielles comme l’argent, les dons ou les équipements peuvent être collectées lors d’événements sportifs pour aider des causes sociales. D’un autre côté, les ressources symboliques, comme la reconnaissance, la notoriété ou le respect, sont partagées au sein des communautés sportives, qui se rassemblent autour de valeurs communes telles que l’effort collectif, l’égalité et la solidarité. Ainsi, le sport permet de redistribuer à la fois des biens tangibles et des valeurs immatérielles, tout en renforçant les liens sociaux au sein de ces communautés.

L’essor des plateformes numériques, la popularité croissante du sport amateur, et l’émergence de récits de vie inspirants diffusés sur les réseaux sociaux accentuent ce phénomène. Le témoignage de Camille Le Joncour, une cycliste qui, partie seule à vélo vers le Maroc, a décidé d’associer son défi personnel à une cause solidaire en récoltant des fonds pour aider de jeunes enfants à réaliser leurs rêves, révèle la puissance de cette dynamique. Bien que Camille Le Joncour ne soit pas une personnalité médiatique majeure, son action incarne un exemple frappant de ce phénomène : elle transforme son expérience individuelle en un projet collectif, inspirant d’autres à adopter une démarche similaire.

Cette tendance montre que de plus en plus de sportifs associent leurs défis personnels à des causes sociales. Mais pourquoi ? Si, d’une part, certains peuvent y voir un moyen de se donner bonne conscience en contribuant à une cause plus grande qu’eux, il est aussi vrai que cette démarche peut être motivée par un désir sincère d’avoir un impact positif sur la société. En effet, pour beaucoup, l’association du sport à des projets solidaires ne se résume pas à un simple geste altruiste, mais devient aussi une manière de mobiliser leur notoriété et d’attirer l’attention sur des causes importantes. Le sport, en étant un vecteur puissant de communication, permet de sensibiliser un large public et d’accroître la visibilité des enjeux sociaux. Cette volonté de faire le bien peut donc s’accompagner d’une stratégie de visibilité, mais ce n’est pas nécessairement son moteur exclusif. Ce phénomène met en lumière l’idée que les sportifs, en tant que modèles d’influence, ont la possibilité de porter des projets qui allient performance personnelle et engagement social, créant ainsi une dynamique où la recherche de reconnaissance et la volonté de contribuer à des causes nobles se rejoignent.

Un champ de recherche en pleine émergence

Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses recherches en sciences sociales, psychologie, marketing et communication se sont intéressées à la question de l’engagement caritatif à travers le sport. Les premières approches, centrées sur l’étude des motivations individuelles à participer à des événements caritatifs (Filo et al., 2008 ; Bennett et Sargeant, 2005), ont mis en évidence le rôle du warm glow (Andreoni, 1990), c’est-à-dire le sentiment de bien-être et de satisfaction lié à l’acte de donner.

Cette notion a été approfondie par Reed et Aquino (2007), chercheurs en psychologie sociale à l’Université de Georgetown [ajouter en note de bas de page si besoin], à travers le concept d’identité morale : selon leur étude, menée à partir d’enquêtes quantitatives auprès de bénévoles et de donateurs réguliers, les individus qui se perçoivent comme altruistes ou ayant des valeurs prosociales fortes sont davantage enclins à soutenir une cause, notamment via une activité sportive. L’idée centrale est que l’acte de don alimente une image de soi positive, cohérente avec ses principes.

D’autres études insistent sur la dimension collective de ces événements. Saxton et Wang (2013), spécialistes de l’engagement numérique, mettent en lumière ce qu’ils appellent l’effet réseau » : sur les plateformes numériques, les dons sont facilités par les liens sociaux existants, notamment lorsqu’ils sont déclenchés par une sollicitation affective — un ami ou un proche qui court pour une cause, par exemple. Il ne s’agit plus uniquement de soutenir une cause abstraite, mais de répondre à un appel personnel. Cette logique est renforcée par l’efficacité perçue des campagnes, la visibilité médiatique et la possibilité de partager son engagement en ligne, comme le confirment Bekkers & Wiepking (2011), qui ont réalisé une synthèse de plus de 500 publications sur la philanthropie.

Des recherches plus récentes, comme celle de Vonk (2024), chercheuse à l’Université d’Amsterdam spécialisée dans les stratégies de financement participatif, montrent que la taille de l’événement a un impact significatif sur le montant des dons recueillis. Plus l’événement attire du monde ou est visible médiatiquement, plus les contributions sont importantes. En revanche, la performance sportive (comme la distance parcourue) ou le genre (au sens sociologique : construction sociale des rôles associés aux femmes et aux hommes) jouent un rôle bien plus secondaire. Cela montre que ce qui mobilise vraiment, ce ne sont pas tant les exploits physiques que les valeurs partagées, l’ambiance collective, l’histoire racontée autour de l’événement.

Ce que nous disent les recherches : un lien solide entre sport et solidarité

Au fil des années, les chercheurs ont tenté de comprendre pourquoi les manifestations sportives, davantage que d’autres types d’événements, déclenchent un tel élan solidaire. Une étude menée par Filo, Funk et O’Brien (2011) a comparé les motivations des participants à deux événements sportifs caritatifs : le LIVESTRONG Challenge 2007 et le 3M Half Marathon and Relay 2007. Les résultats ont révélé que les motivations liées à la cause caritative jouaient un rôle plus important dans l’attachement des participants au LIVESTRONG Challenge, tandis que les motivations récréatives étaient plus déterminantes pour le 3M Half Marathon.

En 2010, le LIVESTRONG Challenge à Austin, Texas, a rassemblé plus de 3 100 cyclistes et a permis de collecter 3,1 millions de dollars pour la lutte contre le cancer.  Les participants pouvaient choisir parmi plusieurs distances de parcours, allant de 10 à 100 miles, et étaient tenus de verser un droit d’inscription de 50 dollars, en plus d’un minimum de collecte de fonds de 250 dollars pour les cyclistes. L’événement a attiré une majorité de participants âgés de 30 à 50 ans, avec une prédominance masculine (60 %). 

Ces données illustrent comment l’engagement émotionnel envers une cause spécifique, comme la lutte contre le cancer, peut renforcer la participation à des événements sportifs caritatifs. Le LIVESTRONG Challenge démontre que, au-delà de l’activité physique, c’est l’identification à une cause qui motive profondément les participants.

Autrement dit, participer à une course solidaire, ce n’est pas seulement faire du sport : c’est exprimer ses valeurs, rendre hommage à un proche, ou simplement sentir qu’on fait partie d’une action collective porteuse de sens. Comme le montrent Cornwell et Coote (2005), plus une personne s’identifie à la mission d’une organisation, plus elle est susceptible de s’y engager, voire de soutenir les marques partenaires — un aspect qui pose aussi la question de la marchandisation de la solidarité. Le sport devient alors un vecteur d’émotion, de mémoire, mais aussi de stratégie marketing.

Par ailleurs, certaines recherches se penchent sur les obstacles que peuvent rencontrer les participants, notamment dans leur rôle de collecteurs de dons. Il n’est pas toujours facile de demander de l’argent, de convaincre, d’expliquer. Filo et ses collègues (2019) évoquent des contraintes émotionnelles, sociales et temporelles. Mais ils observent aussi comment les participants contournent ces blocages, par exemple en racontant leur histoire, en mobilisant leur réseau, en expliquant que chaque euro compte​. Ces récits personnels deviennent des leviers puissants pour mobiliser la générosité.

Enfin, le rôle des émotions est décisif. Une étude récente menée par Yousef et al. (2022), chercheurs en sciences comportementales à l’Université de Toronto, montre que les appels émotionnels (c’est-à-dire des messages faisant appel aux sentiments d’espoir, de peur, de honte ou de fierté) sont plus efficaces que des arguments purement rationnels (statistiques, chiffres, logique) pour inciter à faire un don en ligne. Or, les événements sportifs sont justement un creuset émotionnel : on y rit, on y pleure, on se dépasse, on partage.

Problématiques

Ces constats nous amènent aux questionnements suivants :
Pourquoi le cadre sportif semble-t-il favoriser un engagement solidaire plus marqué que d’autres contextes ?
Et, au-delà : quelles sont les conditions spécifiques – psychologiques, sociales ou économiques – qui rendent une action solidaire plus mobilisatrice dans un contexte sportif ? Cela suppose de définir les critères de visibilité (c’est-à-dire la capacité d’un acte à être perçu et relayé par un grand nombre de personnes) et surtout d’efficacité, notion ici entendue comme la capacité à produire un impact mesurable : en dons récoltés, en nombre de participants, ou en changement de comportement.

Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de constater une corrélation entre sport et solidarité, mais de comprendre les ressorts de cette synergie. Le sport ne serait-il pas un catalyseur émotionnel, un amplificateur de visibilité et un créateur de lien social idéal pour faire naître ou renforcer l’engagement solidaire ? Enfin, une dernière question centrale : comment expliquer que des individus éloignés des logiques caritatives ordinaires deviennent moteurs d’engagement dès lors qu’ils participent à un défi physique pour une cause ? 

Axes d’étude

Pour éclairer ces enjeux, notre démarche s’organise en deux grandes étapes.

La première vise à documenter, de manière rigoureuse et concrète, la diversité des formes de mobilisation solidaire dans le cadre sportif. Marathons caritatifs, campagnes de dons associées à des challenges, initiatives individuelles relayées sur les réseaux sociaux : l’objectif est ici de recenser et d’analyser des cas réels, chiffrés, en France comme à l’international, afin de poser des bases solides à l’analyse. donnera à voir la diversité des formes que peut prendre l’engagement solidaire lorsqu’il se conjugue avec l’activité physique.

La seconde étape consistera à analyser en profondeur les leviers à l’œuvre dans ces situations. Quels mécanismes émotionnels, psychologiques ou sociaux se jouent dans ces événements ? Quels profils de participants sont les plus susceptibles de s’engager, et pourquoi ? Quels freins ou leviers faut-il prendre en compte ? En croisant les travaux de recherche et les témoignages de terrain, cette partie tentera de déconstruire les ressorts de l’engagement, pour mieux comprendre ce qui rend le cadre sportif si propice à la mobilisation.

Enfin, une dernière section sera consacrée à l’identification de profils types d’engagés. Sans tomber dans la caricature, il s’agira de dresser quelques portraits contrastés d’individus selon leur âge, leur trajectoire, leur rapport au corps ou leur sensibilité aux causes. Non pour prescrire, mais pour comprendre : qu’est-ce qui pousse un étudiant, un parent actif, ou une retraitée à s’engager dans ce type de démarche ? Et pourquoi certaines causes, certains formats ou certains discours touchent-ils davantage certaines catégories de personnes ? En somme, il s’agira d’éclairer les conditions d’un engagement solidaire personnalisé, en lien avec l’identité, les motivations et les contraintes propres à chacun.

Première partie – Quand le sport devient un vecteur d’élan solidaire : une mosaïque d’initiatives

À travers le monde, les événements sportifs à visée solidaire se multiplient et se diversifient. Des courses urbaines aux défis de l’extrême, des clubs amateurs aux grandes institutions, des actions locales aux mouvements internationaux, le sport devient un langage universel de l’engagement. Cette première partie propose un parcours à travers quelques exemples représentatifs, sans prétention à l’exhaustivité, pour mettre en lumière les formes concrètes et parfois inattendues que peut prendre l’engagement solidaire dans un cadre sportif.

Des courses pour une cause : rassembler et donner du sens

En France, la course Odyssea mobilise chaque année plus de 100 000 participants à travers différentes villes au profit de la recherche contre le cancer du sein. Ce qui frappe dans ce type d’événement, c’est la diversité des profils : mères de famille, amis d’une personne touchée par la maladie, sportifs aguerris ou simples citoyens solidaires. Ici, l’objectif n’est pas de battre un record mais de faire corps autour d’une cause. Les participants portent souvent des tee-shirts personnalisés, des photos, des messages : tout contribue à créer une atmosphère d’émotion partagée.

L’effet est similaire à Londres, où le Marathon de Londres, considéré comme le plus caritatif au monde, a généré en 2022 près de 60 millions de livres sterling, selon les chiffres officiels de l’organisation. Ici, la performance sportive se double d’une campagne de collecte individuelle : chaque coureur peut choisir une association, ouvrir une page de dons en ligne, partager son parcours sur les réseaux sociaux, et ainsi déclencher un cercle vertueux de dons, de partages et d’engagements. On observe que ce modèle allie visibilité, narration personnelle et effort physique, trois éléments qui renforcent la portée de l’action.

Défis personnels : de l’aventure au geste engagé

En parallèle des grands événements, de plus en plus d’individus choisissent de mettre leur propre défi au service d’une cause. C’est le cas de  Camille Le Joncour, une jeune femme bretonne, a ainsi parcouru à vélo la distance entre la France et le Maroc, avec pour objectif de collecter des fonds pour une association d’aide à l’éducation : « J’ai ouvert une cagnotte et j’ai commencé à raconter mon projet sur Instagram », explique-t-elle. Rapidement, des dons ont afflué. Pour beaucoup, c’est le courage de Camille, son authenticité, son engagement qui ont déclenché l’envie de participer.

Ce type de projet est de plus en plus fréquent. On voit fleurir des marches solidaires à travers l’Europe, des défis d’ultra-trail pour financer des traitements médicaux, des traversées de l’Atlantique à la rame au profit de la recherche. Dans tous les cas, le sport devient un support d’expression personnelle autant qu’un canal de mobilisation.

Clubs et associations sportives au service des autres

Les clubs sportifs, même locaux, jouent également un rôle croissant dans la solidarité. Certains organisent des journées « portes ouvertes solidaires », où les recettes sont reversées à une association. D’autres montent des partenariats durables avec des structures sociales : accueil de jeunes en difficulté, séances gratuites pour les personnes précaires, tournois inclusifs avec des migrants ou des personnes en situation de handicap.

À Lyon,  le club Krav Maga IKMF Lyon, en collaboration avec la gendarmerie du Rhône a lancé une initiative originale : des stages gratuits intitulés « Stop victime, plus jamais ». Ces sessions, encadrées par des professionnels dans un environnement sécurisé, visent à transmettre des techniques d’autodéfense adaptées aux femmes victimes de violences.  L’idée : offrir un outil concret, tout en diffusant un message fort par le biais du sport.

Il est toutefois important de noter que, bien que ces initiatives aient un impact positif, elles peuvent aussi servir d’outil de communication pour les clubs organisateurs. En effet, en proposant des stages gratuits ou à tarif réduit, ces clubs peuvent attirer de nouvelles adhérentes et promouvoir leurs activités régulières. Ainsi, si l’objectif principal reste la sensibilisation et l’autonomisation des femmes face aux violences, ces actions peuvent également contribuer à la visibilité et au développement des clubs concernés.

D’autres clubs s’impliquent dans des projets de mixité sociale : séances de sport gratuites pour des jeunes en insertion, tournoi intergénérationnel ou avec des personnes en situation de handicap, accueil de migrants. Ces initiatives, souvent discrètes, montrent que le sport peut être un levier d’inclusion, d’accès à des droits ou de reconstruction de l’estime de soi.

Grands événements, grandes causes : l’alliance des géants

Les grandes compétitions sportives intègrent de plus en plus des volets solidaires ou humanitaires. Lors des Jeux Olympiques de Tokyo (2021), plusieurs campagnes de dons ont été associées aux performances d’athlètes, et des ONG ont été mises en lumière par les délégations. Ces initiatives sont cependant ambivalentes : elles peuvent relever de stratégies d’image, mais elles offrent aussi une tribune inégalée à certaines causes.

Pendant la pandémie de Covid-19, certains clubs professionnels ont su réagir vite. Le Real Madrid, par exemple, a mis son stade à disposition du service public de santé pour stocker du matériel médical. Marcus Rashford, joueur de Manchester United, a quant à lui mené une campagne efficace contre la pauvreté infantile, contraignant le gouvernement britannique à prolonger l’aide alimentaire scolaire pendant les vacances.

Ces exemples illustrent que la notoriété des sportifs peut se transformer en influence sociale, à condition d’être relayée par une volonté authentique.

La solidarité du quotidien : petits gestes, grands effets

Tous les engagements ne sont pas spectaculaires. Dans de nombreux cas, la solidarité passe par des gestes simples, répétés, presque invisibles : offrir un peu de son temps pour encadrer une course inclusive, accompagner une personne en situation de handicap dans une épreuve sportive, donner ses anciens équipements à un club de jeunes en difficulté.

Enfin, la mobilisation solidaire dans le sport ne passe pas toujours par de grands événements. De nombreuses écoles organisent des courses solidaires : c’est le cas de la Course contre la faim, présente dans près de 1 300 établissements en France et dans le monde. Chaque élève s’engage à parcourir une distance, et chaque kilomètre est sponsorisé par ses proches au profit de l’ONG Action contre la Faim. Ces actions, modestes en apparence, contribuent à ancrer l’idée d’un sport porteur de sens dès le plus jeune âge.

Quand les réseaux sociaux deviennent des relais d’engagement sportif

Aujourd’hui, il est devenu quasi naturel de partager ses défis sportifs sur Instagram, TikTok ou Strava. Ce qui autrefois relevait du journal intime de l’athlète est désormais un puissant outil de mobilisation collective. L’objectif ? Non seulement se motiver ou valoriser sa performance, mais aussi, de plus en plus souvent, transformer un effort individuel en cause partagée. Les réseaux deviennent ainsi des espaces de rencontre — parfois amicale, voire amoureuse — et surtout de solidarité virale.

Une simple course du dimanche, filmée et racontée avec sincérité, peut se transformer en collecte virale. Par exemple, en 2020, le coureur amateur Axel Lattuada a lancé sur Instagram le défi « 1 km = 1 euro », pour soutenir une association d’aide aux sans-abri. Il a récolté plus de 10 000 euros en deux semaines, simplement en incitant sa communauté à courir, à donner, puis à passer le relais.

Des plateformes comme GoFundMe, Alvarum ou Leetchi proposent désormais des options spécifiques pour connecter activité physique et levée de fonds. Certains événements caritatifs intègrent directement les réseaux dans leur fonctionnement : le challenge #RunForAutism, relayé sur Strava, proposait aux coureurs de partager leurs kilomètres parcourus au profit d’une campagne de sensibilisation, chaque publication augmentant la visibilité du message.

Enfin, de nombreux influenceurs du sport amateur lancent des défis participatifs solidaires. Le principe est souvent simple et ludique : « Cours 5 km, reverse 5 €, tags 5 amis. » Ce type de chaîne numérique, reposant sur la logique du défi entre pairs, s’avère parfois plus efficace qu’une campagne de communication institutionnelle. Il conjugue engagement, visibilité et proximité.

L’e-sport solidaire : une nouvelle frontière

La solidarité sportive ne s’exprime pas uniquement sur les terrains ou dans les rues. Depuis quelques années, l’e-sport et le streaming sont devenus des supports de mobilisation à part entière. Le « Z Event », événement caritatif réunissant des streamers francophones, a ainsi récolté plus de 10 millions d’euros en 2022 pour plusieurs associations, simplement en jouant à des jeux vidéo pendant 50 heures. Les spectateurs, sensibilisés par le ton à la fois léger et sincère des participants, n’hésitent pas à faire des dons parfois très élevés, motivés par un sentiment d’appartenance à une communauté solidaire.

Bien que virtuel, cet engagement relève des mêmes dynamiques que celles des événements physiques : un effort (ici la performance ou l’endurance dans le jeu), un public, un récit collectif. La frontière entre sport et numérique devient floue, mais l’élan solidaire, lui, reste bien réel.

Sport et migration : reconstruire des liens par le jeu

Dans de nombreux contextes d’accueil, le sport est utilisé comme outil de médiation et de reconstruction identitaire. En Italie, en France, en Allemagne, des associations organisent des tournois mixtes réunissant migrants et habitants locaux. Ces événements, parfois très simples dans leur logistique, permettent de recréer du lien, de restaurer la confiance, et surtout de redonner une dignité à ceux que la vie a fragilisés.

À Calais, des matchs de foot informels sont organisés dans la « jungle » entre réfugiés et bénévoles. Des équipements sont prêtés, des règles sont traduites, les équipes mélangées. Il ne s’agit pas ici de performance, mais de rencontre. Comme le dit un bénévole : « Sur un terrain, on oublie les statuts. Il n’y a plus de « réfugié », de « Français », de « Soudanais ». Il y a juste des joueurs qui essaient de faire une passe. »

Quand les entreprises transforment le sport en levier solidaire (et stratégique)

Certaines entreprises intègrent désormais la solidarité sportive dans leur politique de responsabilité sociétale (RSE). Courses inter-entreprises au profit d’associations, défis sportifs collectifs entre collègues pour soutenir une cause, ou même encouragements concrets comme une prime ou un jour de congé pour les salariés engagés dans des actions sportives solidaires : autant d’initiatives qui lient cohésion interne, bien-être et utilité sociale.

Ainsi, une grande société de télécommunication française a récemment lancé un « challenge connecté » sur un mois. Chaque employé pouvait enregistrer ses pas quotidiens via une application mobile. À la fin, les pas cumulés étaient convertis en euros, reversés à une ONG travaillant pour l’accès à l’eau potable en Afrique subsaharienne. L’opération a suscité une forte participation et un réel sentiment d’unité au sein de l’entreprise.

Mais au-delà de la dimension solidaire affichée, ces initiatives peuvent aussi répondre à d’autres objectifs : renforcer la culture d’entreprise, valoriser l’image de la marque, ou encore mobiliser les salariés autour de valeurs communes, sans négliger la visibilité médiatique ou la différenciation concurrentielle qu’un tel engagement peut offrir. Si l’élan solidaire est bien réel, il s’accompagne souvent d’une stratégie de communication maîtrisée, voire d’un investissement RH réfléchi.

Solidarité dans les sports adaptés : redonner du pouvoir d’agir

Le monde du sport adapté regorge également d’initiatives solidaires puissantes. Le « Défi H », organisé chaque année en Belgique, propose à des personnes en situation de handicap moteur ou mental de relever ensemble un défi sportif (course, escalade, randonnée), souvent accompagnées de sportifs valides. Ces binômes forment des équipes mixtes fondées sur la complémentarité : l’un motive, l’autre guide, tous deux avancent ensemble.

Ce type d’événement est porteur d’une symbolique forte : celle de la dignité retrouvée, de l’égalité dans l’effort, et d’une solidarité incarnée physiquement. Beaucoup de participants évoquent des moments d’émotion sincère, de rencontres marquantes et un sentiment rare de faire partie d’un collectif.

En France, des associations comme « Dunes d’Espoir » permettent à des enfants lourdement handicapés de participer à des marathons grâce à des joëlettes – fauteuils tout-terrain poussés et tirés par des coureurs bénévoles. L’émotion à l’arrivée est souvent palpable. Ce n’est plus une performance individuelle, c’est une victoire collective et symbolique.

Les traditions sportives solidaires dans d’autres cultures

Dans certaines régions du monde, la solidarité sportive n’est pas une nouveauté mais un héritage culturel. En Éthiopie, des courses rurales sont organisées pour soutenir les écoles locales ou financer des puits. Elles mobilisent des villages entiers et intègrent chants, danses et repas communautaires. Le sport est ici un rituel de partage autant qu’un outil de développement.

Au Brésil, les projets de futebol de rua (football de rue) vont au-delà du simple jeu : ils s’adressent aux jeunes des favelas en leur proposant un cadre structurant, souvent couplé à des programmes éducatifs ou de santé. Ce sport de quartier met l’accent sur des valeurs de dialogue et de coopération, notamment à travers une règle étonnante : les équipes fixent ensemble les conditions du match avant de jouer. Même sans récolte de fonds, la solidarité se manifeste ici dans l’effort collectif pour construire du lien, prévenir la violence et ouvrir des perspectives.

Au Japon, les marathons scolaires solidaires sont très courants : chaque établissement choisit une cause (soutien à une région sinistrée, aide aux personnes âgées, projet environnemental) et les élèves s’entraînent parfois plusieurs mois pour courir ensemble, souvent dans le silence et la concentration, comme une marche méditative au service d’un idéal commun.

L’improvisation solidaire dans les situations de crise

Enfin, il existe des gestes solidaires spontanés qui émergent dans des contextes de crise. En Ukraine, par exemple, dès les premiers mois de la guerre, des cours collectifs de fitness ont été organisés dans les parkings souterrains servant d’abris. Les dons récoltés servaient à acheter du matériel médical. Ce sport improvisé, dans l’urgence et l’insécurité, a permis de maintenir un moral collectif et de canaliser l’angoisse vers une forme d’action utile.

Au Liban, après l’explosion de Beyrouth en 2020, plusieurs clubs de yoga ont proposé des sessions gratuites en plein air pour récolter des fonds pour la reconstruction. Là encore, c’est l’effort physique, le mouvement collectif, et la symbolique du corps qui deviennent les outils d’une solidarité de terrain.

Deuxième partie – Pourquoi le sport favorise-t-il autant l’élan solidaire ?

Lorsque l’on observe la diversité des initiatives solidaires liées au sport – qu’elles soient locales ou internationales, modestes ou spectaculaires – un constat s’impose : le sport possède une puissance mobilisatrice singulière. Il ne se contente pas de rassembler autour d’un effort physique ; il crée du lien, du sens, et surtout, un cadre émotionnel propice à l’engagement.

Mais pourquoi cet effet ? Pourquoi est-on plus enclin à donner, à s’investir, à mobiliser ses proches dans un cadre sportif plutôt qu’à l’occasion d’une campagne de dons classique ou d’un concert caritatif ? Plusieurs mécanismes peuvent être identifiés.

Quand le corps devient langage de l’engagement

Derrière chaque course caritative, chaque défi sportif engagé, il y a un corps en mouvement. Ce corps, qui transpire, qui souffre parfois, devient une incarnation physique de l’engagement moral. L’effort devient un langage symbolique puissant. S’investir physiquement, c’est aussi affirmer symboliquement son engagement pour une cause. En souffrant un peu, on montre qu’on est prêt à donner de soi – littéralement – pour les autres. C’est ce que les chercheurs Reed et Aquino (2007) appellent l’identité morale : dans certains contextes, les individus peuvent se percevoir comme des « bonnes personnes ». Or, le sport, par son intensité, ses règles claires, son exposition publique, crée un cadre idéal pour nourrir cette identité. En courant pour une cause, on ne se contente pas de faire un don — on devient acteur visible de la solidarité.

L’émotion partagée : vecteur d’empathie et de mobilisation

Ce pouvoir du sport est aussi émotionnel. Les campagnes qui touchent le plus les cœurs sont celles qui provoquent une émotion forte, comme le soulignent les travaux de Yousef et al. (2022). Or, le sport en déborde : on pleure à l’arrivée d’un marathonien, on sourit devant un enfant handicapé porté par ses coéquipiers, on frissonne à la vue d’un groupe d’inconnus courant ensemble pour une cause commune. Ces émotions sont contagieuses : elles circulent sur les réseaux sociaux, elles suscitent de l’identification. On se dit : « Et moi ? Qu’est-ce que je fais ? » Par mimétisme, par empathie, certains passent à l’action. L’émotion devient ainsi un déclencheur, un premier pas vers l’engagement.

L’effet de groupe : catalyseur d’altruisme

Un autre levier puissant est l’effet de groupe, bien connu en psychologie sociale. Voir les autres s’engager — qu’il s’agisse de collègues qui participent à un challenge connecté ou d’amis qui postent leurs dons — crée une forme de pression douce mais motivante. Ce phénomène, appelé entraînement émotionnel (Saxton & Wang, 2013), repose sur l’idée que le comportement d’un individu est influencé par celui de son entourage. Dans un cadre collectif, donner ou participer devient plus naturel, plus valorisé, parfois même plus « normal ». Et peu à peu, une dynamique collective se forme, où chacun s’entraîne, s’encourage, et s’engage.

Le cadre communautaire : créer un « nous » autour d’une cause

Nombre des exemples cités précédemment montrent que le sport ne se vit jamais seul. Même les défis individuels sont souvent portés par un entourage, une communauté, un public. Cette dimension collective donne à l’engagement une valeur sociale : on s’implique non seulement pour une cause, mais aussi pour faire partie d’un groupe, d’un « nous ».

Plusieurs chercheurs en sociologie, comme Filo et al. (2019), insistent sur cette dimension relationnelle : participer à un événement solidaire, c’est entrer dans un récit collectif qui renforce l’identité sociale des participants. On agit pour le bien commun, mais aussi pour être vu en train d’agir, reconnu, valorisé.

Ce sentiment d’appartenance peut encourager les comportements altruistes, sans relever strictement du « capital social » tel que défini par Bourdieu, mais plutôt d’une dynamique communautaire temporaire, construite autour d’un objectif partagé. D’ailleurs, Filo et ses collègues montrent que ce mécanisme pourrait fonctionner autour d’autres formes d’engagement collectif – culturelles, artistiques ou militantes – et pas uniquement sportives.

Le sport comme support narratif : raconter une histoire, créer de l’impact

Un coureur qui récolte des fonds pour soigner sa sœur malade, une prof de yoga qui donne un cours dans les ruines de Beyrouth, un enfant qui court pour planter des arbres… Tous ces récits ont en commun de construire une narration autour de l’effort physique. Ce n’est pas seulement l’action sportive qui compte, mais la manière dont elle est racontée, partagée, mise en scène.

Et c’est souvent le participant lui-même qui fait ce récit, via les réseaux sociaux, des blogs, ou des vidéos. D’autres fois, ce sont les journalistes, les associations ou les organisateurs d’événements qui mettent en avant une histoire particulière. Le but est de transformer un simple effort en expérience signifiante, émotionnelle, capable de capter l’attention et de mobiliser.

Le récit joue ici plusieurs rôles essentiels. D’abord, il permet l’identification : le sportif devient un héros ordinaire, quelqu’un à qui l’on peut ressembler. Cela rapproche le public de la cause. Ensuite, comme l’explique Filo (2012), ce récit sert à justifier l’appel au don. Demander de l’argent n’est jamais neutre, surtout dans un cadre public. Le récit permet de contourner les obstacles habituels : la peur d’être intrusif, la gêne de solliciter les autres, ou encore la crainte d’être jugé. Quand l’effort est incarné dans une histoire personnelle, authentique, le don devient un acte de soutien naturel, presque évident.

Cornwell et Coote (2005) montrent même que cette identification au récit et à la cause peut aller jusqu’à influencer le comportement du public vis-à-vis des sponsors de l’événement. C’est-à-dire que si quelqu’un est touché par l’histoire d’un marathon caritatif, il sera plus enclin à soutenir — voire acheter — les produits d’une marque qui finance l’événement. Le récit crée donc un effet de halo émotionnel qui peut se traduire en soutien concret, au-delà du simple don.

Les freins à l’engagement : gêne, fatigue, saturation

Même dans un cadre aussi favorable que celui du sport, l’engagement solidaire n’est pas toujours simple. Les recherches menées par Filo, Fechner et Inoue (2019) montrent que de nombreux participants à des événements sportifs caritatifs rencontrent des résistances personnelles à la collecte de dons. Ces freins prennent plusieurs formes.

Le premier frein est psychologique : c’est la gêne à demander. De nombreux participants expriment un malaise à l’idée de solliciter leurs proches pour un don, même pour une cause noble. L’acte de demander est perçu comme intrusif, et parfois même culpabilisant. Il touche à l’intimité, expose à un potentiel rejet, et oblige à “montrer” sa cause. Ce malaise est d’autant plus fort chez les personnes introverties, ou peu habituées aux interactions sociales numériques.

Le deuxième frein est structurel : il s’agit de la saturation du réseau personnel. Lorsqu’un participant s’engage à plusieurs reprises dans des courses solidaires, il peut constater un essoufflement de la générosité autour de lui. Comme l’expriment certains répondants dans les études de terrain menées par Filo et al. (2019), « on donne une fois, deux fois… mais à la cinquième course, on n’a plus envie ». Il s’agit d’une fatigue sociale du don, qui touche autant les donateurs que les collecteurs. Si des chiffres précis manquent encore, cette lassitude se retrouve souvent dans les baisses progressives de montants collectés au fil des éditions d’un même événement, un phénomène documenté par certaines plateformes de fundraising sportif (type JustGiving ou Alvarum).

Enfin, les contraintes de temps et d’énergie jouent un rôle crucial. Entre entraînements, logistique, vie professionnelle ou familiale, peu de personnes trouvent le temps de construire une campagne de dons cohérente et régulière. La dimension émotionnelle – souvent mise en avant – entre alors en tension avec la réalité de la vie quotidienne.

Contourner les obstacles : stratégies de contournement et leviers d’engagement

Face à ces freins, les participants développent des stratégies adaptatives pour continuer à s’engager sans se décourager. Les entretiens menés par Filo et son équipe identifient plusieurs tactiques simples mais efficaces.

D’abord, le récit personnel : raconter pourquoi on court, pour qui, avec quelles émotions. Cette narration rend la demande plus authentique, plus humaine. Elle crée un lien émotionnel qui dépasse la simple sollicitation financière.

Ensuite, l’usage de micro-objectifs : proposer à ses proches de donner « 2 euros symboliques » par kilomètre, ou offrir un petit badge, une photo, une lettre de remerciement en retour du don. Cette approche s’apparente à ce que certains appellent la “gamification affective” : elle introduit un jeu, une interaction légère, dans la relation au don. Ce terme vient du champ du marketing participatif (Deterding et al., 2011), et désigne l’application de mécaniques ludiques (récompenses, paliers, défis) dans des contextes non ludiques comme la collecte de fonds.

Enfin, l’intégration du don dans le processus d’inscription (point-of-sale donation) permet d’éviter la gêne de la demande en rendant le geste plus discret, presque automatique. Ces solutions, souvent proposées par les organisateurs eux-mêmes, montrent qu’une bonne conception de l’événement peut aider à lever les obstacles.

Quand l’engagement dépend du profil : âge, culture, valeurs

Enfin, dernier point souvent sous-estimé : l’engagement solidaire est profondément individualisé. Il ne répond pas à une logique unique. Il varie selon l’âge, le milieu social, les croyances, l’histoire personnelle… mais aussi selon la géographie du don : certaines personnes préfèrent donner à des causes proches, visibles, incarnées dans leur quotidien.

  • Un adolescent sensible aux enjeux climatiques pourra être mobilisé via un « plogging » (course pendant laquelle on ramasse les déchets).
  • Une trentenaire active et connectée préférera peut-être un défi digital, relayé sur les réseaux.
  • Un cadre quadragénaire sera plus à l’aise dans un défi entreprise, valorisé socialement dans son cercle professionnel.
  • Une personne âgée, peu familière du numérique, se sentira plus investie dans une marche solidaire de proximité ou une action communautaire dans son quartier.

Les travaux de Cornwell et Coote (2005) confirment que l’identification à la cause est influencée par la perception du prestige de l’association, le lien émotionnel, ou encore l’ancienneté de la relation. D’autres chercheurs comme Fisher & Ackerman (1998) insistent sur la diversité des motivations au don, qui évoluent selon les étapes de la vie : jeunes adultes en quête de sens, parents sensibles à la protection des enfants, retraités soucieux de laisser une trace.

Ainsi, le sport solidaire fonctionne parce qu’il ne fige pas l’engagement dans une forme unique. Il propose des récits, des formats, des durées, des intensités variables. Il épouse les identités, les rythmes, et les proximités de chacun. Et en cela, il fait du don non pas un devoir, mais une possibilité vivante

Troisième Partie – Vers un engagement sur mesure : profils types et leviers d’action

Si l’engagement solidaire dans le sport prend des formes aussi diverses, c’est aussi parce que ce qui motive à s’engager varie profondément d’un individu à l’autre. Derrière un même geste – courir pour une cause, organiser une collecte, faire un don – peuvent se cacher des raisons très différentes : envie d’aider, recherche de reconnaissance, conviction intime, mais aussi avantages fiscaux ou simples effets de groupe.

Des générations qui ne donnent pas pour les mêmes raisons

Les motivations d’engagement varient selon les générations, comme l’a montré l’Université de l’Indiana dans une étude de référence (Generational Giving Study, 2008). La génération Y (née après 1980), marquée par les réseaux sociaux et les enjeux globaux, privilégie des actions concrètes, visibles, partageables. Leur rapport à la solidarité passe par l’impact mesurable : courir pour financer des panneaux solaires dans une école, créer une cagnotte sur Instagram, s’inscrire à un défi sur TikTok. Pour eux, le sport devient une extension logique de leur présence numérique et communautaire.

À l’inverse, les générations X et les baby boomers manifestent un attachement plus fort aux valeurs de responsabilité personnelle, de transparence et de justice sociale. Ils privilégient des formes d’engagement structurées, associées à des institutions reconnues. Pour eux, l’événement sportif doit s’inscrire dans une démarche lisible et crédible, à l’image d’un marathon caritatif labellisé ou d’une collecte certifiée.

Quant aux plus âgés – générations silencieuses ou pré-boomers – leur engagement solidaire reste souvent enraciné dans des logiques communautaires ou religieuses. Le sport peut néanmoins les mobiliser à travers des marches solidaires, des événements intergénérationnels ou des projets locaux intégrés à des réseaux associatifs traditionnels.

Des motivations multiples, parfois non altruistes… et pourtant efficaces

Loin de l’idéal romantique du don désintéressé, les sciences sociales insistent sur la diversité des ressorts du don. James Andreoni, par exemple, théorise le concept de warm-glow giving (1990, puis 2013 avec Abigail Payne), soit le plaisir subjectif que procure l’acte de donner, indépendamment de ses effets réels. Donner permet de se sentir bon, moral, engagé, même si la cause n’est pas évaluée objectivement. Ce “glow” émotionnel est un moteur puissant – parfois plus efficace que la rationalité.

S’ajoutent des logiques de réputation (cf. Bénabou et Tirole, 2006) : l’engagement solidaire peut devenir un signal adressé aux autres, une manière de cultiver une image sociale valorisante. Le sportif solidaire devient alors aussi un acteur de soi, comme dirait Goffman, façonnant une identité socialement lisible. À cela s’ajoute un facteur souvent sous-estimé : l’incitation fiscale. En France, 66 % du montant d’un don à une association d’intérêt général est déductible de l’impôt sur le revenu. Ce levier, plus important chez les ménages imposables à fort taux marginal, agit comme un catalyseur discret mais efficace. Le cadre sportif, perçu comme sain, apolitique et rassembleur, offre alors un décor socialement valorisé pour un acte qui peut être autant calculé qu’engagé.

Les profils culturels : un engagement enraciné dans des traditions

Les cultures façonnent aussi les modalités d’engagement. Le rapport Everyday Donors of Color (2023) met en lumière la diversité des pratiques : les formes de solidarité ne passent pas toujours par des structures officielles ou des formats standardisés.

Dans certains milieux latino-américains, l’entraide familiale et la solidarité informelle priment sur l’adhésion à de grandes ONG : on organise une collecte dans son club de foot, on court pour payer l’opération d’un cousin. Chez les Afro-descendants, le lien entre religion, justice sociale et mémoire historique génère un fort engagement dans des causes communautaires : une course pour financer une bourse scolaire ou lutter contre les discriminations trouve un écho particulier. Dans les cultures asiatiques, la discrétion du don, la valorisation de l’éducation et du respect des aînés peuvent conduire à des formes d’engagement moins visibles, mais profondément structurantes.

Ces dynamiques culturelles rappellent qu’il n’existe pas une « bonne manière » de s’engager. Le sport, justement, offre une malléabilité précieuse : il permet des formats flexibles, collectifs ou individuels, festifs ou sobres, publics ou discrets.

Typologies sociales : 

Plutôt que des caricatures ou des figures figées, on peut esquisser quelques archétypes sociologiques illustrant cette diversité :

  • L’étudiant connecté, motivé par le défi collectif et la visibilité sociale : il relaie, court, partage, souvent dans une logique de mobilisation virale.
  • Le salarié quadragénaire, qui inscrit son engagement dans un cadre professionnel ou institutionnel, via une marche d’entreprise ou un challenge sponsorisé.
  • La retraitée locale, impliquée dans des actions de proximité, souvent intergénérationnelles, où la marche ou la randonnée servent de support à un engagement enraciné.
  • Le donateur communautaire, qui agit dans des cercles informels ou familiaux, en organisant un tournoi ou une course dans son quartier pour répondre à un besoin urgent.

En définitive, il n’existe pas un seul modèle de don, ni une seule manière de s’engager. Ce que nous montrent les événements sportifs, c’est qu’ils offrent un espace suffisamment large, émotionnel et collectif pour accueillir toutes ces formes de solidarité – visibles ou invisibles, altruistes ou intéressées, spontanées ou stratégiques. Le sport devient ainsi le miroir d’une société en quête de lien, de sens… et de points de passage concrets entre soi et les autres.

Conclusion

À travers les multiples formes de solidarité qui s’expriment dans le cadre sportif, une certitude s’impose : le sport ne se limite plus à la performance ou au dépassement de soi. Il est devenu un vecteur d’engagement puissant, capable de mobiliser des milliers de personnes autour de causes communes, de susciter des élans de générosité, et de tisser des liens là où la société tend parfois à diviser.

Notre exploration a montré que cette puissance tient à plusieurs mécanismes conjugués. D’abord, l’émotion : celle qui naît dans l’effort, dans la sueur partagée, dans les larmes à l’arrivée d’une course. Le sport est un vecteur émotionnel, et c’est cette intensité qui rend les appels à l’engagement si efficaces. Ensuite, le cadre : à la fois collectif et visible. Participer à un événement solidaire, c’est s’engager dans une dynamique de groupe, mais aussi se donner les moyens de rendre cet engagement visible, partageable et inspirant. Enfin, la diversité des formes : chacun peut y trouver un rôle, une place, un sens, selon ses moyens, son histoire ou sa sensibilité.

Mais au-delà de cette efficacité, le sport solidaire nous révèle aussi les contours d’une société en recomposition. Une société où l’engagement se fragmente, se réinvente, s’individualise parfois, mais sans perdre de sa force. Cette individualisation, loin de marquer un désengagement, traduit plutôt une reconfiguration des modalités d’action. Comme l’avait anticipé Pierre Bourdieu avec la notion d’engagement différencié, ou Patrick Lehingue et Daniel Gaxie à travers l’idée d’un « cens caché », ces formes d’engagement traduisent aussi des inégalités dans l’accès aux ressources nécessaires pour participer – mais elles montrent également que de nouveaux formats plus inclusifs émergent, au croisement de l’intime et du collectif.

Le sportif qui court seul dans la campagne pour financer une cause, l’enfant qui parcourt 20 tours de stade pour soutenir l’école de son village, le cadre qui marche avec ses collègues pour une association locale : tous partagent un même geste. Celui de mettre le corps au service d’une cause. Ce geste, trop peu théorisé, mérite d’être pensé comme une forme contemporaine d’expression citoyenne. Il appartient à ce que Charles Tilly nommait des « répertoires de l’action collective », en constante évolution : aujourd’hui, le corps devient médium politique, langage de l’engagement, support de la mobilisation.

Et ce geste, aussi modeste soit-il, dit quelque chose d’essentiel : que l’engagement n’est plus réservé à une élite militante ou à une minorité informée. Il devient un langage universel, accessible à tous. Car le sport, contrairement à d’autres formes d’engagement, parle une langue que tout le monde comprend. C’est là sa force : il est inclusif, incarné, symbolique. Il permet de faire, de ressentir, de partager.

Les données que nous avons mobilisées nous montrent également qu’il n’y a pas une seule bonne manière de s’engager. Certains donneront parce qu’ils veulent changer le monde. D’autres, parce qu’ils souhaitent honorer la mémoire d’un proche. D’autres encore, pour des raisons fiscales, ou parce que l’événement les a touchés au bon moment. Ces motivations sont toutes valides. Le plus important est peut-être justement que chacun puisse trouver le levier qui lui parle, le cadre qui lui convient, la cause qui le touche.

En ce sens, penser les événements sportifs solidaires comme des espaces modulables d’engagement – adaptés aux âges, aux cultures, aux profils psychologiques – devient une piste précieuse pour l’avenir. Un adolescent pourra s’identifier à un challenge numérique, une retraitée à une marche intergénérationnelle, un salarié à une action collective portée par son entreprise. Le sport offre une variété de formats et d’intensités qui permettent à chacun de s’approprier l’acte de solidarité.

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