La stratégie politique du corps Exemples des FEMEN et du mouvement Femme, Vie, Liberté
On mai 13, 2024 by labo recherche StandardChercheuses
Marwa Drissi et Rim Eva Souali
Résumé
A la fin du XXème siècle, des mouvements féministes mettant la libre disposition du corps féminin au centre de leur lutte, voient le jour. L’Iran et l’Ukraine, États aux contextes politiques complexes, aux traditions patriarcales fortes mais dont les codes sociaux diffèrent sont deux pays ayant notamment vécu cette montée en puissance d’un féminisme nouveau qui place la mise en scène du corps féminin au cœur des actions. En occident, le mouvement des FEMEN apparaît en 2008 lors d’une période trouble pour l’ex-territoire soviétique. Des ukrainiennes s’insurgent alors de la condition des femme, soumises pour un grand nombre à l’industrie du sexe, en pleine croissance en raison de la crise économique qui frappe l’Ukraine. Pour protester contre cette situation, les activistes du groupe organisent des manifestations durant lesquelles elles défilent seins nus, dans les lieux publics des grandes villes Ukrainiennes. Ce mode d’action spectaculaire leur octroie une forte audience à l’échelle internationale, à l’image du mouvement Femme, Vie, Liberté. En 1979, l’Ayatollah Khomeini et le parti islamique arrivent au pouvoir et remettent en vigueur la loi sur le port du voile obligatoire. Les Iraniennes se révoltent alors dans une société conservatrice et sous le joug d’un régime théocratique. Suite à la mort de la jeune femme kurde Mahsa Amini en septembre 2022, une vague de soutien internationale permet au mouvement de prendre de l’ampleur grâce à un symbole fort et devenu emblématique. Se couper les cheveux ou retirer son voile en public ou sur les réseaux sociaux, c’est ainsi que les femmes du mouvement et celles qui les soutiennent mettent en scène leur corps au nom de leurs revendications. Choquer pour dénoncer, revendiquer et faire changer les choses, voici le mot d’ordre de deux mouvements féministes que presque tout semble opposer. Ce sont donc ces deux mouvements féministes que nous avons choisi d’approfondir ainsi que leur rapport au corps en tant qu’outil de revendication politique. Ainsi, nous pouvons nous demander pourquoi le corps féminin est-il mis en scène pour transmettre un message politique ?
Introduction
A partir du XXème siècle, des figures et des mouvements féministes voient le jour, prônant l’égalité des sexes et la liberté des femmes à disposer de leurs corps. Parmi les figures remarquables de ce siècle, nous pouvons compter Joséphine Baker. Arrivée en France, Joséphine Baker se produit sur la scène des cabarets nue, en tant que danseuse, une ceinture de banane autour de la taille. En dévoilant son corps de cette manière, elle joue avec les stéréotypes de la France coloniale, dans l’objectif de dénoncer le racisme dont-elle est victime. Elle est en quelque sorte, une satire de la caricature. La jeune américaine connaît rapidement un succès phénoménal et utilise son image controversée pour défendre ses idées politiques. Elle devient un exemple pour des femmes en quête d’émancipation, alors qu’à la même époque durant les années folles de nombreuses femmes, dont Joséphine Baker cassent les codes vestimentaires traditionnels en adoptant des coiffures aux cheveux courts à la “mode garconne” et des vêtements moins contraigants, avec par exemple des jupes plus courtes qui libèrent et dévoilent leurs corps. Cette période avant-gardiste, ayant durée de 1920 à 1929 marque un tournant pour les femmes. Jusque là, dans de nombreuses sociétés, le corps féminin était enfermé dans un carcan, notamment à travers le corset. Apparu au XVIème siècle à la Cour d’Espagne avant de se répandre au reste de l’Europe, ce sous-vêtement féminin symbolisait la droiture et le respect des mœurs tout en mettant en valeur les attributs féminins. Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, malgré une certaine évolution du statut des femmes, elles restent contraintes par des normes sociales anciennes.
Notre démarche sera menée sous la forme d’une étude comparative s’appuyant sur deux mouvements de femmes issus de pays aux cultures différentes. Ainsi, nous avons choisi de travailler sur le mouvement des FEMEN, né en Ukraine et sur le mouvement Femme, Vie, Liberté originaire d’Iran. Au sein de ces deux pays aux traditions patriarcales fortes, des femmes réclament davantage de droits ainsi que l’égalité des sexes. Pour faire valoir leurs droits, les activistes de ces deux mouvements ont choisi le corps féminin comme vecteur de lutte. Elles cherchent ainsi à casser les codes de leurs sociétés respectives dans le but commun de choquer pour dénoncer, revendiquer et tenter de faire changer les choses. Le mouvement des FEMEN a été étudié notamment par Marion Dalibert, enseignante et chercheuse à l’institut de sciences sociales de Lilles, Nelly Quemener, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle et Christophe Perrot, psychanalyste et enseignant à l’université Paris Saclay. Ces chercheurs contribuent à expliquer l’utilisation de leurs corps comme outils d’émancipation dans leurs articles respectifs “Femen, l’émancipation du corps par les seins nus” (Hermès, La Revue, 2014) et “Femen, les cris du corps” (Le Coq Héron, 2016). Le premier article nous a permis de cerner le rôle de la médiatisation dans le rayonnement du mouvement, tout en évoquant également les limites des FEMEN qui, en raison de l’exposition de leurs seins, participent à la sexualisation du corps des femmes. Le second article évoque également la question de l’ampleur médiatique du mouvement, en analysant l’impact de leurs modes d’action sur le public masculin. Le mouvement Femme, Vie, Liberté a été étudié par Mahnaz Shirali, sociologue et politologue iranienne spécialiste de l’Iran. Elle étudie la situation politique et sociale en Iran notamment dans Fenêtre sur l’Iran, paru en 2021. Sorour Kasmaï, romancière franco iranienne, place la lutte des femmes iraniennes au centre du roman Femme, Rêve, Liberté (titre en écho au nom du mouvement) dont elle a dirigé l’écriture accompagnée de douze autre écrivaines. Une partie de l’analyse se fonde sur la préface de cet ouvrage. La sociologue et écrivaine iranienne Chahla Chafiq a elle aussi étudié le mouvement ainsi que le contexte iranien dans son œuvre Le Rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir, publié en 2018.
Nous avons choisi d’étudier ces deux mouvements dans notre article car bien que différents par leurs modes d’actions, ils présentent des revendications politiques similaires. De plus, les activistes des FEMEN et de Femme, Vie, Liberté ont choisi de mettre en scène leurs corps et de l’utiliser comme arme politique afin de lutter contre les régimes oppressifs de leurs pays respectifs. Ainsi, nous analyserons de manière approfondie les enjeux historiques, sociaux et géopolitiques de ces mouvements, et leurs impacts pour leurs pays, tout en travaillant également sur la manière dont le corps des femmes est mis en scène. Enfin, nous questionnerons la pertinence et l’intérêt de ces mouvements dans l’histoire du féminisme.
En plaçant le corps féminin au cœur de notre démarche et de notre réflexion, il sera alors question d’étayer notre analyse en répondant à la problématique suivante : pourquoi le corps féminin est-il mis en scène par certains mouvements pour transmettre un message politique ? En premier lieu, nous verrons que les femmes Ukrainiennes et Iraniennes sont engagées pour la libération du corps féminin, par le biais de deux mouvements féministes propres à leurs pays. Puis, dans un second temps nous nous questionnerons sur l’utilité politique de la mise en scène du corps féminin comme outil de lutte.
Première partie – Les femmes Ukrainiennes et Iraniennes : engagées pour la libération du corps féminin
Des contextes politiques favorables à la naissance de nouveaux mouvements féministes
Dans la nuit du 9 novembre 1989, le mur de Berlin s’effondre. Cet événement marque la fin de l’union des républiques socialistes soviétiques, Etat fédéral transcontinental vaste, composé de l’actuelle Russie, de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Moldavie, ayant perduré de 1922 à 1991. A partir du 26 décembre 1991, date à laquelle l’URSS est officiellement dissoute, l’Ukraine va être partagée entre un héritage post-communiste et l’apparition de nouvelles valeurs occidentales, davantage libéralistes. L’éclatement de l’URSS eut un impact fort pour le pays, encore très dépendant de la Russie sur le plan économique. En effet, le PIB de l’Ukraine chute de 40% entre les années 1990 et 2000 . Par ailleurs, une économie de marché, “système dans lequel les agents économiques, entreprises et individus, ont la liberté de vendre et d’acheter des biens ainsi que des services et des capitaux” , va se développer, créant un gouffre financier entre les classes sociales. Les femmes Ukrainiennes sont sans doute les plus touchées par la transition économique face à laquelle elles vont se trouver démunies, le salaire moyen pour les femmes en Ukraine à cette époque étant de 100 à 300 euros par mois. L’une des conséquences de la précarité des femmes est l’explosion de l’industrie du sexe, caractérisant “ l’ensemble du commerce et des moyens mis en place pour vendre des produits et des services à caractere sexuel” . Selon un rapport de la fondation Scelles publié en 2016, au début des années 2000, entre 65 000 et 93 000 personnes sont exploitées sexuellement en Ukraine, dont 16 % de mineurs. Ce chiffre est conséquent et bien plus élevé que dans d’autres pays européens. En France par exemple, selon Statista, 273 mineurs sont exploités sexuellement en 2016 et 2017. La principale cause de ces exploitations sexuelles est la pauvreté. En effet, selon une estimation de la Banque mondiale datant de 2012, plus de 16 % des femmes ukrainiennes de 15 à 24 ans sont sans emploi, en raison du faible taux d’emploi qui leur est réservé, environ 20%. Cette situation est similaire, voire plus élevée dans plusieurs pays Européens. En France par exemple, en 2010 selon L’Insee, 26, 8 % des femmes âgées de 15 à 24 ans sont sans emploi. En revanche, la pauvreté est beaucoup plus forte en Ukraine que dans la plupart de ses pays voisins. En effet, près de 25 % de la population vit sous le seuil de pauvreté en 2010, selon une étude datant de la même année . En France ou aux Pays Bas par exemple, ce taux est respectivement de 14, 1% et de 11%. En conséquence, près de 500 000 femmes sont parties chercher un emploi à l’étranger et une sur cinq est tombée dans les mailles du filet de la prostitution, soit près de 100 000. Aujourd’hui, l’Ukraine est un haut lieu d’exploitation sexuelle; aux Pays Bas les Ukrainiennes occupent la deuxième place dans l’industrie du sexe, après les neerlendaises. En Turquie, elles seraient environ 2000. Cette situation critique suscite de nombreuses réactions parmi les femmes Ukrainiennes. Certaines s’impliqueront dans le mouvement des FEMEN que nous évoquerons dans la suite de cet article. En effet, en Ukraine des protestations vont petit à petit apparaitre, en opposition à la domination masculine et aux organisations mafieuses qui profitent de cette industrie du sexe.
Le 21 novembre 2004, près de 13 ans après la dislocation de l’union soviétique, une élection présidentielle est organisée en Ukraine. Pour la première fois, l’un des candidats exprime clairement dans son programme la volonté de se détacher de la politique Russe. “Alors que le candidat pro-européen Viktor Iouchtchenko était en tête dans les sondages à la sortie des urnes, la commission électorale proclame la victoire du Premier ministre Viktor Ianoukovitch, soutenu par le président sortant Leonid Koutchma et par le président russe Vladimir Poutine. Viktor Iouchtchenko dénonce la falsification de cette élection et appelle au lancement d’un mouvement de résistance civile appelé « révolution orange », du nom de la couleur du parti de Viktor Iouchtchenko. Cet appel à la désobéissance civile marque un tournant pour la société ukrainienne, jusque-là soumise à l’emprise soviétique. “Le 23 novembre, environ 500 000 personnes se rassemblent sur la place de l’Indépendance à Kiev pour soutenir Iouchtchenko. Des manifestations massives vont avoir lieu jusqu’au 26 décembre 2004 pour obtenir l’annulation du résultat des élections et l’organisation d’un nouveau scrutin. Le 3 décembre 2004, la Cour suprême ukrainienne annule le résultat de l’élection présidentielle du 21 novembre et ordonne la tenue d’un nouveau second tour. Ce scrutin se déroule le 26 décembre 2004, en présence d’environ 12 000 observateurs internationaux. Viktor Iouchtchenko est proclamé vainqueur avec 51,90% des voix et est investi président le 23 janvier 2005” . Cette révolution pacifiste donne un sursaut démocratique et une plus grande visibilité aux revendications de la société civile dans laquelle vont se développer des mouvements de revendications des droits individuels et collectifs dans l’espace public.
La révolution orange marque les esprits de la jeunesse ukrainienne. Trois jeunes adolescentes, Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Sacha Shevchenko vont notamment profiter de cette période pour revendiquer leurs opinions publiquement. Anna est née en 1984 dans l’arrondissement de Khmelnitski, tout comme Oksana, dans un famille d’agriculteurs. Elle explique lors d’une interview: « J’ai grandi dans les années 1990. La situation économique était très dure. Après la chute de l’URSS, beaucoup d’hommes se sont retrouvés au chômage. Ils buvaient trop, ce sont les femmes du village qui assuraient la survie de la famille ». Après le divorce de ses parents, elle entre à l’université et suit des cours de sociologie. Son engagement pour l’égalité des sexes au sein des FEMEN débute lors de ses années universitaires. Après les cours, assise sur un banc public elle regardait les couples sortir du bureau d’enregistrement des mariages. Elle explique: “Je les observais, heureux, se tenant par la main. Les filles étaient très jeunes, à peine 16 ou 17 ans. Leur vie venait de se terminer, et elles ne s’en rendaient pas compte” . Anna identifie ainsi le mariage à un carcan pour les femmes, sont souvent très jeunes qui en étant mariées à des hommes plus âgés ne pourront pas construire leur futur de façon autonome. En 2007, Anna Hutsol quitte sa province pour travailler à Kiev dans le monde du spectacle, avec des célébrités comme Tina Karol et le groupe Quest Pistols. Ces contacts permettront plus tard au groupe d’obtenir de la visibilité et une audience à grande échelle. Oksana Chatchko est née quant à elle en 1987, de deux parents ouvriers dans une usine. A la chute du régime soviétique, ses parents se retrouvent au chômage, comme de nombreuses familles ukrainiennes à cette époque, et son père tombe dans l’alcoolisme. Dès son jeune âge, elle intègre une école d’art dont elle sort diplômée quelques années plus tard, en 2000. Elle poursuit par la suite des études de philosophie dans une université de sa ville natale. Les connaissances qu’elle acquiert lors de sa scolarité lui permettent de développer un esprit critique qui la pousse à s’indigner de la condition des femmes en Ukraine, comme elle le dit elle-même. Très peu d’informations sont disponibles sur la troisième cofondatrice des FEMEN, Sacha Shevchenko. Nous savons néanmoins qu’Oksana et elle se connaissaient lorsqu’elles étaient adolescentes. Engagées pour les causes sociales et curieuses dès leur plus jeune âge, Oksana et Sacha se retrouvent régulièrement durant la révolution au Centre de perspective de la jeunesse à Kiev, pour lire les œuvres de Marx et Engels ainsi que des ouvrages du socialiste Allemand August Bebel, tel que La Femme et le Socialisme. Après avoir été rejointes par Anna Hutsol, plus âgée de quelques années, elles fondent “Initiative féminine”, un groupe ayant comme base de revendication la lutte pour les droits des femmes en Ukraine. Afin de diffuser leurs idéaux, elles organisent des conférences-débats sur la discrimination des femmes et des lectures. En 2007, le groupe organise sa première action publique. A Khmelnitsky, ville située en Ukraine occidentale, deux femmes décèdent à l’hôpital suite à une erreur médicale l’erreur d’une infirmière qui “ leur avait par mégarde administré un lavement avec du formol”. En protestation contre cette erreur médicale tragique, les jeunes femmes racontent : “Nous sommes restées une demi-journée sous la pluie et la neige, portant des draps ensanglantés en guise de calicot et de pancartes [où était écrit] “À qui le tour ?” . Cette action sera décisive pour le groupe car elle sera la première à être médiatisée et exposée aux yeux de la société pour dénoncer les injustices sociales et économiques vécues par les femmes Ukrainiennes. Le nom du groupe sera remplacé pour “marquer les esprits” par celui de “FEMEN”. L’origine de ce choix diffère selon les analyses. Les FEMEN disent avoir choisi ce nom parce qu’il “sonnait bien”, sans forcément connaître l’origine de ce mot. Le nom de leur groupe est inspiré par le terme “fémur”, ou “cuisse” en français qui désigne un os qui forme le squelette de la cuisse, ou une partie du membre inférieur qui s’articule à la hanche et va jusqu’au genou. Nous pouvons nous questionner sur le choix de ce nom, qui renvoie finalement peu, ou du moins de manière indirecte, à la question du corps féminin. Les FEMEN ont surement cherché, à travers ce nom, à marquer l’indifférence des sexes, le fémur étant un os présent à la fois chez les femmes et chez les hommes, et ayant la même fonction chez les individus, quel que soit leur genre. Symboliquement, ce nom met sur un même pied d’égalité les femmes et les hommes. Il est important de souligner paradoxalement le rôle central du corps féminin dans leurs revendications, puisque les FEMEN agissent la poitrine nue.
Nous allons à présent étudier l’origine du mouvement Femme, Vie, Liberté et le contexte géopolitique et historique de l’Iran lors de sa création. Le second mouvement que nous analysons dans cet article prend donc racine au Proche Orient. Reza Shah Pahlavi, le premier souverain de la dynastie arrivé au pouvoir après un coup d’Etat en 1921, entame des réformes de modernisation de la Perse devenue l’Iran, sur le modèle de Mustapha Kemal Atatürk en Turquie. Elles portent notamment sur l’industrialisation du pays et sur l’encadrement du clergé chiite dont le pouvoir est réduit. En 1936, les femmes peuvent intégrer l’université de Téhéran, Reza Shah Pahlavi crée, la même année, un système d’éducation ne faisant aucune différence entre fille et garçon . Plus tard, c’est dans une société iranienne très traditionaliste et conservatrice que le Shah, Mohammed Reza Pahlavi regnant sur l’Iran depuis depuis 1941 après la mort de son père, a mis en place une série de mesures visant à moderniser son pays, c’est la Révolution du Roi et du peuple, aussi appelée la révolution Blanche, de 1963. A son arrivée au pouvoir en 1941, il abolit officiellement le port du voile jusque là obligatoire. La révolution blanche a notamment permis l’évolution du statut de la femme, les iraniennes obtiennent le droit de vote et d’éligibilité, la loi de la protection de la famille est mise en place permettant notamment au femmes de divorcer, enfin l’age legal du mariage passe à 18ans, il était avant le coup d’état de 13 ans et a été modifié à 15 ans par Reza Shah Pahlavi. Ces mesures témoignent de l’évolution du statut de la femme en Iran dont le corps s’affranchit des interdits petit à petit.
Ces mesures connaissent toutefois une certaine désapprobation, notamment de la part des autorités religieuses musulmanes. Les opposants au pouvoir royal de Mohamed Reza Pahlavi vont même jusqu’à boycotter le référendum concernant les mesures prises par le Shah pour la modernisation de l’Iran. Rouhollah Khomeini est un haut dignitaire religieux possédant le titre de l’Ayatollah, l’un des titres les plus élevés du clergé chiite en Iran, cet homme est la figure de proue de l’opposition au pouvoir du Shah. Bien qu’elles ont permis une avancée considérable en matière de droit de la femme, les réformes du Shah ont accélérées l’exode rural et déstabilisé la société iranienne. Les inégalités sociales s’accroissent, l’enrichissement de l’Iran ne profitant qu’à l’oligarchie dirigeante. Ces mesures de modernisation, soutenues par les Etats-Unis, ont accentué la dette iranienne ainsi que la dépendance de l’Etat envers l’Europe et l’Occident. Le dernier Pahlavi, Mohammed Reza, devient alors de plus en plus impopulaire, il quitte définitivement l’Iran le 16 Janvier 1979. Quelques jours plus tard, Khomeini rentre de 14 ans d’exil par un vol spécial d’Air France. L’Ayatollah avait écrit en 1942 un ouvrage contre les réformes politiques de Reza Shah “Kashf ol-asrar”, “le dévoilement des secrets”, en 1963, il multiplie les discours à l’encontre des mesures de la révolution blanche, notamment sur les réformes liées au droit de vote des femmes. Peu de temps après, Rouhollah Khomeini est exilé en Irak. L’opposition et les contestations ne cessant de s’amplifier en Iran, le Shah demanda à Saddam Hussein d’expulser Khomeini. Il fut finalement accueilli en France. A son retour, il prononce un discours dans le cimetière des martyrs devant le peuple de Téhéran “Ce gouvernement, ce Parlement sont aussi illégaux. Tous ces gens doivent être jugés. Tant que nous existerons, nous ne laisserons pas faire le régime actuel.” .
L’Ayatollah Ruhollah Khomeini et le parti islamique accèdent au pouvoir à travers la Révolution Islamique de 1979 renversant le pouvoir impérial et mettant fin à la dynastie des Pahlavi. L’une des premières mesures prises par le parti islamique fut d’imposer le port du voile aux femmes, la vie des femmes iraniennes est à présent régi par la charia, un ensemble de lois religieuses islamiques derivant des enseignements religieux de l’Islam et s’appuyant notamment sur le Coran et le Hadith.“Les femmes elles-mêmes [étaient] partagées entre traditions et avancées sociales” sont nombreuses à manifester en faveur du parti islamique, soutenant la famille et le respect de la religion. Pour une majorité d’iraniens et d’iraniennes, l’arrivée de Khomeini au pouvoir signifie le retour de la pudeur dans une société trop modernisée par le Shah. Ce dernier est devenu impopulaire, là où l’Ayatollah a réussi à obtenir le soutien du peuple iranien en s’appuyant sur des valeurs conservatrices importantes aux iraniens que ces derniers craignaient de perdre avec la modernisation du pays. Cette domination religieuse reposait tout d’abord sur l’assujettissement des femmes : l’age légal de mariage et de responsabilité pénale pour les jeunes filles est rabaissé, la polygamie est légalisée, la femme est soumise à l’autorité et aux exigences, y compris sexuelles, de son époux, ce dernier controle également les activités de sa femme en dehors du foyer . A la mort de Khomeini en 1983, le port du tchador, un vêtement féminin traditionnel irannien ne laissant apercevoir que le visage, reste obligatoire, les femmes restent ségréguées dans les transports et sujettes à la peine de mort en cas d’adultère ou de légitime défense. Cependant, les femmes peuvent désormais accéder aux études universitaires, ce qui leur a été interdit après la révolution de 1979, et un nouveau bureau des affaires des femmes est créé.
Aujourd’hui, la nouvelle génération féminine, née après la révolution, prends conscience de l’injustice – principalement de l’inégalité entre hommes et femmes en Iran dans la société et devant la loi – qu’elle subit et cherche à faire évoluer le statut de la femme.
Le slogan “Femme, Vie, Liberté” « Zan, zendegi, azadi » dans sa langue originale, le kurde, est d’abord popularisé par les partis kurdes. Il est pour la première fois utilisé en 2013 à Ankara lors du congrès de la branche féminine du parti de la paix et de la démocratie dont la majorité des membres sont kurdes. Ce parti turc, le BDP, est étroitement lié au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan. Son fondateur, Abdullah öcalan, affirme que “la libération des femmes est la libération du Kurdistan”. Le slogan “Femme, Vie, Liberté” devient rapidement le cri de ralliement de la lutte contre la répression féministe en Iran, puis la devise de l’émancipation du corps des femmes iraniennes.
Une stratégie, pour les deux mouvements, centrée sur la mise en scène du corps féminin
Selon Olivier Goujon, journaliste, reporter, photographe et auteur de FEMEN : histoire d’une trahison, le mouvement des FEMEN marque un “horizon nouveau dans le combat du féminisme”. Jamais auparavant un groupe féministe n’avait utilisé des méthodes aussi percutantes. A l’instar des groupes écologistes comme Greenpeace, les FEMEN ont pour objectif de mener des actions spectaculaires qui resteront ancrées dans les souvenirs de leurs spectateurs. Ainsi, les militantes utilisent leurs corps comme support de revendication. A la place des traditionnelles pancartes et banderoles, les slogans exposés lors des manifestations sont écrits directement à la peinture sur le torse nu des femmes pour choquer le public et se démarquer des autres mouvements féministes. Pourquoi utiliser comme arme politique un attribut féminin, les seins, dont la symbolique se réfère dans les sociétés européennes à la maternité et à la sexualité? De manière plus générale, pourquoi exposer sa nudité dans l’espace public ? L’idéologie du mouvement se définit ainsi: “Séparé de la femme, son corps est devenu l’objet d’une exploitation patriarcale monstrueuse […]. La nudité féminine, libérée du système patriarcal, devient fossoyeuse de ce système […]. Le corps nu d’une activiste, c’est la haine non dissimulée de l’ordre patriarcal et la nouvelle esthétique de la révolution féminine. […] Peu à peu notre réflexion a mûri et nous avons compris que l’ennemi, ce n’est pas un homme concret. L’ennemi, c’est le schéma général du patriarcat.” Ces mots, prononcés par une activiste et cités dans l’ouvrage Femen, les cris du corps de Christophe Perrot laissent entrevoir le message dissimulé derrière leurs modes d’action. “Le but des Femen n’est pas de produire un discours mais davantage une image”. En exposant leurs seins dans la rue, les FEMEN cherchent à susciter la curiosité, notamment sexuelle de leurs spectateurs et à l’utiliser comme outil de médiatisation. Elles veulent aussi rappeler que ce qu’elles sont intrinsèquement ne se limite pas à leur corps genré. En plus de leurs torses dénudés, les FEMEN arborent des couronnes de fleurs colorées sur leur tête. Selon Galia Ackerman, écrivaine, historienne et journaliste spécialiste du monde russe et ex-soviétique, cet ornement est “un symbole de féminité et l’indocilité fière. C’est la couronne de l’héroïsme, c’est un symbole ukrainien de virginité et les fleurs symbolisent la protestation pacifique […] les filles qui la portent sont libres, jeunes et fortes, indépendantes” . En Ukraine, ces ornements traditionnels sont fréquemment utilisés lors des célébrations, telles que la fête Ivan Kupala qui se déroule chaque année au début du mois de juillet. Cette fête omniprésente au sein des sociétés slaves célèbre le feu, l’eau, le soleil, la lune, la récolte, la fertilité, la joie et l’amour. Elle est comparée notamment en Ukraine et en Pologne à la fête de la Saint-Valentin. La tradition se déroule ainsi: Lors de cette célébration, des feux sont allumés à la tombée du jour et les participants se baignent au coucher du soleil dans des étendues d’eau. À minuit, sous prétexte de chercher des fleurs de fougères, les hommes et femmes célibataires courent en toute liberté dans la forêt : les femmes, vêtues de blanc, symbole de pureté, partent les premières en chantant, une couronne de fleurs sur la tête , symbolisant leur état de célibat. Les hommes leur emboîtent ensuite le pas. Celui qui trouve la fleur de fougère en premier voit, selon les croyances, ses rêves se réaliser . On analyse ainsi comment ces activistes choquent par leurs postures innovantes tout en utilisant les codes traditionnels de la société ukrainienne. L’effet de contraste que cela provoque est assez paradoxal et surprenant. Malgré leur réelle volonté d’émancipation vis-à-vis des traditions de leur pays qu’elles jugent arriérées et patriarcales, les FEMEN ne parviennent pas à s’en détacher totalement, puisqu’elles puisent certains éléments de leur culture, telle que ces couronnes de fleur, et s’en servent lors de leurs manifestations. Elles ne sont pas les premières à faire cela. Dans les années 1900 par exemple, les suffragettes en Grande Bretagne manifestent pour l’égalité politique des sexes, en prônant le droit des femmes à disposer de leurs corps, tout en respectant néanmoins certains codes de leurs sociétés. Nous pouvons en effet noter que lors des manifestations, les activistes sont en robes longues, bien qu’un pantalon aurait été surement plus adéquat à leurs revendications égalitaires. Néanmoins, contrairement au FEMEN, les suffragettes cherchaient à être visibles dans l’espace public, ce qui était nouveau, en veillant à ne pas casser les codes sociétaux de la Grande Bretagne.
L’un des temps forts des FEMEN est son installation en France en septembre 2012, en raison de la valorisation du mouvement par les médias, beaucoup plus forte qu’en Ukraine ou leurs actions avaient été jugées obscènes par le gouvernement. L’outil Google Trends, permettant de connaître la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans le moteur de recherche Google, nous permet d’affirmer cela. Dès la fin de l’année 2012, la proportion de recherches portant sur le mot clé “FEMEN” n’a cessé de s’accroître. La première donnée exploitable date de novembre 2009. A ce moment-là, la proportion de recherches associée au mot FEMEN était de 8 sur un total de 100. Entre décembre 2012 et août 2013, la proportion de recherches a stagné entre 95 et 100 sur un total de 100. On observe donc que les recherches du terme “FEMEN” sur internet ont été multipliées par 12 lorsque le mouvement est apparu en France. L’arrivée sur le devant de la scène française de l’une des leaders du mouvement, Inna Shevchenko a permis au groupe d’être élevé au rang “d’événement médiatique” (Neveu et Quéré, 1996) et de faire l’objet de 72 articles entre septembre 2012 et mars 2013. Durant les premiers mois suivant l’installation du mouvement en France, une faible attention est portée à leurs revendications, en dépit de celle accordée à la dimension spectaculaire de leurs actions. L’image prend le devant face aux messages féministes qu’elles cherchent à véhiculer. L’opinion publique se forge alors le portrait de femmes érotiques, à l’instar de la représentation erronée et fantasmée des amazones. Dans la mythologie grecque, cette appellation désigne les filles du dieu Arès et de la nymphe Harmonia. Les amazones sont des guerrières, qui se battent sur des chevaux le torse nu. Elles incarnent les codes de la féminité, puisqu’elles sont supposément vierges, mais sont aussi d’une rare violence car elles n’ont pas le droit de se marier tant qu’elles n’ont pas tué un de leurs ennemis au combat. A cette vision s’ajoute une forte esthétisation du mouvement en raison du “modèle idéal de féminité blanche”, comme le cite Marion Dalibert et Nelly Quemener dans Hermès, La Revue en 2014, qu’incarne les militantes qui sont pour la grande majorité jeunes, blondes, minces et épilées. Cela démontre les limites du mouvement et de la tactique utilisée puisque les activistes sont très peu représentatives des femmes qu’elles défendent. De plus, nous pouvons même aller plus loin dans l’analyse en dénonçant les canons de la beauté occidentale qu’elles adoptent et qui pourtant sont imposés par des sociétés patriarcales. Cette esthétisation est amplifiée par les photographies prises lors des manifestations, sur lesquelles nous pouvons voir les activistes dénudées en confrontation avec les forces de l’ordre. Néanmoins, petit à petit le mouvement commence à être valorisé dans les médias pour ses revendications: on parle alors de lutte à la fois physique et politique et les termes “militante”, “résistante” et “maîtrisée” sont employés pour décrire ce mouvement. La dimension guerrière des actions est également mise en avant, et les FEMEN sont qualifiées de “guérilla féministe”. Cette soudaine et importante médiatisation en France peut peut-être s’expliquer par les images auquelles ces femmes renvoient, notamment celle de la femme guidant le peuple. Cette femme est le personnage centrale de l’huile sur toile “La Libérté guidant le peuple”, peinte par Eugène Delacroix en 1830. Ce tableau représente une scène de barricade effondrée, franchie par des émeutiers lors de la révolution des trois glorieuses. Au centre de la toile, on observe une femme, au regard fière qui semble incarner la victoire du peuple. Elle porte sur sa tête le bonnet phrygien, symbole de la république française sous lequel dépasse quelques mèches de ses cheveux bruns. Dans sa main droite flotte le drapeau français qu’elle agite vigoureusement, le poing serré. Cet objet incarne la lutte et la victoire des citoyens de Paris. Enfin, l’allégorie de la liberté porte une robe jaune désendue jusqu’à la taille, laissant ainsi apparaître ses seins. On observe à travers cette figure féminine des similitudes avec les manifestantes des FEMEN, entre autres le bras droit levé en l’air, point serré en signe de victoire et la mise en scène du haut de leurs corps, laissant apparaître leurs poitrines.
En France, et ce depuis des décennies, les femmes ayant participé à des combats pour les droits humains sont souvent représentées poitrines dénudées sans que cela ne choque l’opinion publique. Au contraire, aux yeux de la nation française le nu est souvent assimilé à une forme d’héroïsme chez les femmes. L’allégorie historique de la République française, Marianne, est notamment représentée seins nus par les peintres lorsqu’elle combat au nom du peuple durant la révolution française. Or, lorsqu’elle n’adopte plus un rôle de combattante, les artistes la représente habillée. Cette représentation du corps fémin sublime la femme combattante et révoltée, qui engage son corps pour ses idées politiques. On peut supposer que l’accueil favorable accordé aux FEMEN en France relève de cette longue histoire des femmes combattantes.
En août 2013, le mouvement qui était jusque là présent uniquement au sein des sociétés occidentales s’étend au-delà des océans, dans les pays arabo-musulmans. L’événement déclencheur de ce déploiement est l’affaire Amina Sboui, lorsque la jeune femme de nationalité tunisienne poste sur les reseaux sociaux une photo d’elle poitrine nue, sur laquelle est peint le slogan “ Mon corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne”. Les FEMEN profitent de l’affaire qui fait scandale pour se positionner en tant que mouvement féministe international, revendiquant le droit de porter un discours universel sur la cause des femmes: ” Il n’y a pas de white feminism, il y a des droits universels” . Le 29 mai 2013, les FEMEN organisent une action dans le centre de Tunis, leur première hors sol européen, en soutien à Amina Sboui, emprisonnée depuis quelques mois pour avoir écrit le terme “FEMEN” sur le muret d’un cimetière à Kairouan. Trois militantes Européennes, Pauline Hillier et Marguerite Stern, de nationalité française, ainsi que Josephine Markmann, de nationalité allemande, manifestent seins nus, en face du tribunal. Face à une foule de passants et de journalistes, les militantes hurlaient “free Amina”. Sur leurs poitrines est inscrit le même message, ainsi que le mot “révolution”. Les activistes ont rapidement été arrêtées par les forces de l’ordre qui les ont entraînées à l’intérieur du tribunal. Le porte-parole du ministère de la justice, Adel Riahi déclare « Une enquête a été ouverte et elles seront placées en état d’arrestation et traduites en justice ». En Tunisie, l’attentat à la pudeur est passible de six mois d’emprisonnement. Inna Chevchenko, la dirigeante du mouvement des FEMEN en France explique: « C’est la première action que nous menons dans le monde arabe, j’ai préparé cette équipe internationale à Paris et elles ont été envoyées hier [mardi] à Tunis.” Les trois femmes ont par la suite été emprisonnées au sein de la prison pour femmes de la Manouba, avant d’être relâchées un mois plus tard en écopant d’une peine avec sursis . Cette action est décisive pour le groupe, car c’est la première fois que des militantes sont envoyées hors sol européen pour représenter les FEMEN. De plus, elle permet d’entrevoir le rayonnement du mouvement mais aussi une réponse aux critiques concernant le modèle de féminité occidentale et standardisé qu’elles incarnent. Les FEMEN revendiquent par ailleurs la libre disposition des femmes à disposer de leurs corps, quel que soit le contexte culturel et juridique, en tant que droit fondamental et inscrivent leur action dans le cadre d’une solidarité féminine au-delà des frontières.
Les femmes iraniennes s’inscrivent elles aussi dans cette volonté de disposer librement de leurs corps, malgré un contexte politique et culturel contraignant. Le 16 Septembre 2022, Mahsa Amini, de son vrai nom Jina – les kurdes n’ont pas le droit d’utiliser leur vrai prénom – une étudiante kurde de 22 ans, décède en prison. Elle avait été arrêtée trois jours plus tôt par la police des moeurs – گشت ارشاد en Persan, est une police créée en 2005 qui veille au respect des moeurs islamique en Iran – pour mauvais port du voile. Les manifestattions ont d’abord démarrés dans la ville natale de la jeune femme, Saqqez, une ville du Kurdistan iranien. La mort de la jeune femme a déclenché une vague nationale puis mondiale de protestations. La République Islamique a été secoué par de très nombreuses manifestations dans tout le pays et cela pendant plusieurs mois après la mort de Mahsa. Les manifestations ont été durement matées, l’ONG Iran Human Rights a comptabilisé au 29 Novembre 2022 plus de 448 morts et des milliers d’arrestations. Ces femmes civiles iraniennes revendiquent en premier lieu l’égalité homme femme, les inégalités entre hommes et femmes étant assez fortes en Iran notamment en matière pénale et en droit de la famille. Le mouvement souhaite mettre un terme à la misogynie et à la ségrégation des genres en modernisant le pays et les mentalitées, enfin le mouvement met surtout en avant l’émancipation du peuple contre toute forme d’oppression, d’exploitation, d’exclusion ou de dictature. Par ailleurs, des syndicats indépendants du pouvoir et des associations (de défense des droits des salarié.es, associations de femmes, de retraité.es, d’étudiant.es et des droits humains) mobilisés en Iran, ont rédigé la “Déclaration des revendications minimales des organisations indépendantes syndicales et civiles d’Iran” comportant les revendications principales du mouvement . Ce mouvement a rapidement pris une ampleur mondiale, des femmes principalement mais aussi des hommes du monde entier ont apporté leur soutien à la famille de Mahsa et de manière plus générale aux femmes iraniennes. C’est à travers l’émancipation des femmes que passe la libération du peuple Iranien du despotisme religieux, pareillement qu’affirmé par Abdullah öcalan pour le peuple Kurde. C’est à travers cette forte médiatisation internationale des crimes du régime que le mouvement compte faire entendre sa voix. Le message politique du mouvement est clair, c’est à dire qu’il revendique l’évolution du statut de la femme en Iran ainsi que la mise à terme de la ségrégation des genres, et donc l’égalité homme femme. De plus en plus de femmes, en Iran et à travers le monde, se filment en retirant leur voile ou en se coupant les cheveux. C’est devenu un symbole fort du mouvement puisque cette atteinte à la pudeur, selon les codes d’une société iranienne restée assez conservatrice et sous le joug d’un régime théocratique, choque.
Deuxième partie – Utiliser son corps : quelle utilité politique ?
Ces deux mouvements, aux revendications similaires, utilisent tous les deux le poids du visuel à travers le dévoilement du corps féminin pour transmettre leurs messages politiques, voir espérer faire changer la législation, les mentalitées. Les activistes de ces deux mouvements cassent les codes de leurs sociétés respectives dans un objectif commun : choquer pour dénoncer. En effet, les membres des FEMEN et de Femme, Vie, Liberté s’opposent aux traditions de leurs pays, assigant les femmes à des rôle et des devoirs, notamment concernant la question de la maternité. Aussi bien en Ukraine qu’en Iran, les femmes sont pour la majorité en marge et doivent consacrer leurs vies à leurs conjoints, tout en soumettant leurs corps aux devoirs conjugaux et à l’éducation de leurs enfants. Leurs corps sont également utilisés pour l’entretien de leurs foyers, notamment pour les tâches domestiques. En dévoilant leurs corps, elles attirent l’attention sur elles et bravent les bonnes mœurs, soit les pratiques sociales, usages particuliers, communs à un groupe, un peuple, une époque ou une religion inculquées aux populations ukrainiennes et iraniennes depuis les temps ancestraux. Elles choquent ainsi les citoyens de leurs pays en leurs exposant des idéaux inédits, et prouvent d’une certaine manière qu’il est possible de faire évoluer leurs sociétés.
Le choix d’un symbole fort
Les FEMEN et le mouvement Femme Vie Liberté puisent leur force dans leurs modes d’actions spectaculaires. Leur objectif premier est d’être au centre du discours médiatique. Pour parvenir à cela, les FEMEN dévoilent et exposent la partie supérieure de leurs corps tandis que de nombreuses femmes iraniennes défient la loi et les hautes autorités au pouvoir en découvrant leurs cheveux, celles à l’étranger, plus en sécurité, vont jusqu’à se filmer entrain d’enlever leur voile, de le brûler voir se couper les cheveux. Nous pouvons nous questionner sur ces choix. Pourquoi mener des actions aussi spectaculaires, mettant en scène le corps des femmes comme un moyen subversif pour faire réagir leurs sociétés et leurs états respectifs?
Dans les représentations des sociétés contemporaines de l’Est de l’Europe, telles que la Pologne, la Roumanie ou l’Ukraine, “le corps n’est plus, ou plus seulement une réalité physiologique ou biologique, mais aussi une réalité psychologique, sociale et culturelle” . Selon les régions du monde et ce depuis des décennies, le corps des femmes est affilié à un rôle et à des devoirs, voire des obligations. En Ukraine, la place de la maternité est primordiale. Les femmes doivent avoir des enfants. Cela fait partie des codes de la société. Ainsi, les FEMEN ont choisi de dévoiler leurs seins lors des manifestations, pour rappeler que cette partie du corps féminin ne se réfère pas uniquement à la question de l’allaitement et de la maternité, et peut à bien des égards être utilisée à d’autres fins, notamment politiques. Comme expliqué par Inna Shevchenko, porte parole du mouvement en France, lors d’une interview accordée au média français Radio France, l’objectif des FEMEN est de “montrer que le corps des femmes n’est pas sexuel et faible par nature” et que “les femmes peuvent décider quand leur corps va être sexuel ou politique”. Elle ajoute: “Nous sommes les seuls décisionnaires de notre propre corps”.
En Iran, les femmes utilisent également leurs corps comme outils d’émancipation, à travers l’exposition de leurs cheveux, acte considéré comme contraire aux bonnes mœurs du pays. Pour Nasibe Shamsaei, “Couper mes cheveux, c’est comme arracher la main du régime iranien, me libérer de sa domination.“, selon la jeune femme, ce sont les cheveux qui sont à l’origine de l’oppression que subissent les femmes. Mahsa Amini a été arrêté car ses cheveux étaient trop apparents. Pourtant, dans les traditions perses, le voile se porte desserré, les oreilles, le cou et certaines mèches restant apparents. Ainsi, la révolution islamique a effacé une partie de la culture perse et des libertés féminines en imposant le port du voile obligatoire. Le geste de se couper les cheveux n’a pas été choisi au hasard. Dans le mythe de Samson, un personnage biblique, sa puissance réside dans sa chevelure, les cheveux deviennent alors symbole de liberté. Dans la culture perse, les cheveux longs sont considérés comme un symbole de beauté et de féminité en plus d’être coupés en signe de deuil. Selon la Charia, les cheveux des femmes doivent être couverts par pudeur. Pour Narges Mohammadi, militante pour les droits des femmes iraniennes et prix Nobel de la paix “Le hijab obligatoire imposé par le gouvernement n’est ni une obligation religieuse, ni un modèle culturel. Mais plutôt un moyen de contrôle et de soumission de toute la société. L’obligation du hijab obligatoire équivaut à supprimer toutes les racines de la tyrannie religieuse et à briser les chaînes de l’oppression autoritaire.”
Ainsi, pour les militantes iraniennes, retirer leur voile, lâcher leurs cheveux et les couper, c’est être libérés du régime autoritaire iranien, c’est le symbole d’un deuil collectif après la mort de plus de 448 personnes les semaines ayant suivi la mort de Mahsa Amini . Alors, pour les manifestantes, se couper les cheveux est devenu un symbole politique leur permettant d’exprimer leur ras-le-bol face au régime théocratique mais aussi de la part des manifestantes du monde entier, une marque de soutien pour ces femmes iraniennes.
Une stratégie basée sur la médiatisation de son corps
Les FEMEN ont ainsi, tout comme les femmes iraniennes, choisi d’utiliser un outil qui fait polémique et qui suscite des réactions de l’opinion publique. Leur objectif est atteint, puisque leurs actions sont classées au rang “d’événement médiatique”. Nous avons expliqué précédemment que la valorisation du mouvement des FEMEN dans les médias aura lieu lorsque celui-ci se délocalisera en France. Néanmoins, dès son apparition en Ukraine, les médias français y consacrent quelques articles. Ainsi, le vendredi 9 octobre 2010, un article rédigé par Mathilde Goanec paraît dans le journal Libération, avec pour titre “des féministes disent stop au tourisme sexuel en Ukraine”. L’article présent dresse un état des lieux de la situation du tourisme sexuel en Ukraine, jugée alarmante et en hausse depuis des années sans réaction des autorités, et évoque l’action d’une association de femmes nommée FEMEN. La journaliste française explique : “Hier après-midi, devant le Parlement, une centaine de jeunes femmes, outrageusement maquillées et très légèrement vêtues, se sont rassemblées pour crier aux députés que «l’Ukraine n’est pas un bordel», au son de la musique techno et sous des drapeaux couleur rose bonbon. Les activistes de l’association Femen, s’amusant de leurs charmes, voulaient ainsi prouver que la beauté slave n’est pas à vendre”. Cet article témoigne de l’intérêt de la journaliste pour cette nouvelle forme de manifestation. Elle semble interloquée par les codes adoptés par les jeunes femmes, autant sur leur maquillage qu’elle juge “outrancier” et le rose bonbon de leurs accessoires, qu’elle semble associée à une esthétique féminine de poupée, à l’instar de la représentation de la femme slave. Le traitement journalistique des FEMEN évolue au fil de leurs actions plus nombreuses et médiatisées. En 2012, l’apparition du mouvement en France attise de nombreuses réactions de la part de l’opinion publique. Selon une étude publiée par Statista Research Department, le 21 février 2013, parmi 1889 personnes interrogées, toutes de nationalité française, ayant minimum 18 ans, 14% approuvent à la fois les idées qu’elles défendent et les actions qu’elles ont mis en place, 38 % approuvent les idées qu’elles défendent mais pas les actions qu’elles ont mises en place, 44% n’approuvent ni les idées qu’elles défendent ni les actions qu’elles ont mises en place et 4% ne se prononce pas. On observe ainsi que près de 45 % des sondés n’approuvent ni les idées, ni les manifestations des FEMEN. A ce moment-là, les FEMEN sont déjà connues depuis quelques années, notamment grâce à leur action lors du match d’ouverture de l’Euro 2012, opposant la Pologne à la Grèce. Selon un article paru le 8 juin 2012 dans le journal en ligne Football Genevois, deux heures avant le coup d’envoi du match, quatre militantes des FEMEN ont “surgi soudainement au milieu des milliers de supporteurs se pressant devant l’une des entrées du stade, sous une faible pluie. Sur leur poitrine dénudée, elles avaient inscrit en grosses lettres “Fuck Euro 2012”. Criant à tue-tête le même message, elles ont arrosé la foule avec de la mousse blanche d’extincteurs”. A la suite de leur embarcation par les forces de l’ordre, un jeune supporter interrogé déclare: “Elles sont gonflées de nous gâcher une telle fête! C’est le sommet du culot! Mais elles sont vraiment belles”. Sa déclaration montre qu’il ne s’est pas interrogé sur les revendications des manifestantes, mais qu’en revanche leur esthétique l’a marqué. Cette compétition était regardée en direct à la télévision par des millions de spectateurs internationaux, offrant une grande visibilité au mouvement pour sa première action à grande échelle. Elle permettait ainsi aux FEMEN de dénoncer la prostitution et le tourisme sexuel ayant lieu lors d’evenements sportifs importants. En Allemagne notamment, lors de la coupe du monde de football de 2006, 30 000 à 100 000 femmes en provenance des pays baltes, étaient présentes pour répondre aux désirs sexuels des supporters . Outre atlantique, la presse québécoise évoque également l’implantation du mouvement en France. En septembre 2012, l’article “Sextrémisme à Paris” est publié dans le journal quotidien La Presse. Le journaliste Marc Thibodeau explique le mode d’action, jugé selon lui radical, des FEMEN, basé sur la nudité pour faire entendre leurs revendications féministes. Il fait également part d’une action du groupe, lors de laquelle Loubna Méliane, activiste luttant contre le racisme et la discrimination des femmes, s’est dénudée devant les caméras, le corps “recouvert de messages fustigeant la charia et l’intégrisme”. Les photographies prises lors de cette manifestation ont fait le tour du monde, participant ainsi à nouveau à la médiatisation du mouvement, au-delà des frontières Européennes. Une partie de l’article est consacrée à l’utilisation du corps des femmes, comme “arme politique”. L’auteur rédige: “Les membres des FEMEN affirment qu’elles utilisent leur corps « comme une arme, comme une affiche » pour se faire entendre. Elles parlent d’une forme de « sextrémisme » et de « terrorisme pacifique » susceptible de dynamiser le mouvement féministe.” Loubna Méliane affirme également: “ne croit pas que l’aspect spectaculaire de la nudité risque de noyer le message sous-jacent, répondant aux interrogations du journaliste sur le mode opératoire utilisé. Il s’agit, poursuit-elle d’une façon pour les femmes de se réapproprier ce corps que l’on a voulu trop longtemps cacher ou surexposer. C’est une vraie arme de destruction massive ». Xenia Chernyshova, porte-parole de l’antenne FEMEN au Québec ajoute: L’idée du “sextrémisme” développé par Femen Ukraine était d’arracher l’érotisme corporel volé par la commercialisation du sexe pour l’attacher aux problèmes de la société contemporaine. Nous avons décidé de protester contre le tourisme sexuel en combattant le feu par le feu, c’est-à-dire en utilisant l’image “pornographique” de la femme enregistrée dans notre inconscient collectif pour lutter contre l’exploitation de son potentiel sexuel. L’article présent évoque également la raison de l’installation des FEMEN en France. En raison de la violence auxquelles les militantes ont dû faire face dans les pays de l’Est, la délocalisation du siège était obligatoire. En France, elles déclarent être d’avantages en liberté, notamment en raison des lois plus laxistes. L’infraction d’outrage à la pudeur n’existe plus dans le Code pénal depuis 1994. Les FEMEN peuvent donc, dans la plupart des cas manifester seins nus sans être réprimées par les forces de l’ordre, même si dans certaines situations elles peuvent être jugées pour exhibition sexuelle, par exemple lorsque les manifestations ont lieu dans des lieux religieux.
En Iran, la mort de Mahsa Amini n’est en réalité que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les revendications des femmes iraniennes qui s’opposent au pouvoir des Ayatollah remontent à la révolution islamique. La vague de soutien aux femmes iraniennes a pris très rapidement une ampleur internationale. Nous avons utilisé l’outil Google Trends pour retracer les recherches sur le mouvement iranien. Lorsque l’on cherche “Women, Life, Freedom” sur Google Trends sur les cinq dernières années, les jours suivant la mort de Mahsa Amini, soit fin Septembre 2022, presque 100% des recherches de l’échantillon de Google Trends sont consacrées à ce sujet. Les recherches ont naturellement connu une baisse les mois qui suivent, avant d’atteindre à nouveau les 100% de recherches de l’échantillon en Septembre 2023, soit un an après la mort de Mahsa. Les recherches concernant le nom de la jeune femme, “Mahsa Amini” ont elles aussi connu un certain engouement les jours suivant son décès et un an après. Depuis sa mort, le mouvement est très médiatisé, notamment à travers les réseaux sociaux. Sur Instagram, le hashtag #womenlifefreedom comptabilise près de 197 milles publications, sa version en français #femmevieliberté compte 19,5 milles publications tandis que le hashtag portant le nom de la jeune femme, lui, #mahsaamini compte 1,7 millions de publications sur Instagram. Le mouvement, bien qu’ancien, s’est réuni autour de la mort de cette jeune fille pour dénoncer le régime iranien. Et le soutien pour ces femmes iraniennes s’est manifesté sur les réseaux sociaux à travers ce geste symbolique, celui de se couper les cheveux. Parmi les nombreuses femmes qui ont soutenues le mouvement, 53 célébrités françaises se sont filmées militant symboliquement pour ces femmes en Iran en se coupant face à la caméra une mèche de cheveux. Ces courtes vidéos sont diffusées ensuite sur les réseaux sociaux avec pour bande son une interprétation persane de Bella Ciao d’une jeune fille iranienne. La mise en scène de ce geste symbolique qu’est de se couper une mèche de cheveux est au centre de la stratégie médiatique et politique du mouvement.
En octobre 2022, la député suédoise d’origine Irakienne Abir Al-Sahlani a adressé un discours au parlement européen “Nous, les peuples et les citoyens de l’UE, exigeons l’arrêt inconditionnel et immédiat de toutes les violences contre les femmes et les hommes en Iran. Tant que l’Iran ne sera pas libre, notre fureur sera plus grande que celle des oppresseurs. Tant que les femmes en Iran ne seront pas libres, nous serons à vos côtés. Jin Jiyan Azadi, Femmes, Vie, Liberté !” avant de couper une mèche de ses cheveux devant les autres députés du parlement européen. A la suite de ce discours, l’UE a sanctionné les auteurs de graves violations aux droits de l’Homme – Le Conseil a ajouté onze personnes et quatre entités à la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives dans le cadre du régime existant de sanctions en matière de droits de l’homme à l’encontre de l’Iran, en raison de leur rôle dans la mort de Mahsa Amini et la réaction violente aux récentes manifestations en Iran-
Pas seulement les femmes, les hommes aussi se coupent les cheveux ou se rasent le crâne en signe de soutien aux iraniennes. En Iran, durant la vague de manifestations suivant la mort de la jeune Mahsa Amini, des femmes n’ont pas hésité à retirer leur voile en public et à le brûler, défiant ainsi les autorités iraniennes. Enfin, depuis 2020, Toomaj Salehi publie sur YouTube puis sur les réseaux sociaux ses vidéos et musiques. Le rappeur dénonce dans ses paroles l’oppression du régime et soutient le mouvement Femme, Vie, Liberté. Il a plusieurs fois été condamné à l’emprisonnement, lors de son dernier séjour dans la prison d’Ispahan il a été torturé, en 2023, il lui est interdit de faire de la musique. Le 24 Avril dernier, le tribunal révolutionnaire d’Ispahan le condamne à la peine de mort pour “corruption sur Terre”, le chef d’accusation le plus grave en Iran. Sa condamnation à suscité une nouvelle vague de protestations.
Revendiquer l’égalité de genres et de corps
Ainsi, les FEMEN et les activistes du mouvement Femme,Vie, Liberté placent la question de la liberté des femmes à disposer de leurs corps au centre de leurs revendications depuis la création de leurs mouvements respectifs. Le corps des femmes n’appartient qu’à elles-mêmes, et il leur appartient la liberté d’en faire ce qu’elles en veulent, y compris dans l’espace public et aux yeux de tous. Voici le message qu’elles souhaitent diffuser. Cela est notamment visible à travers les actions des FEMEN concernant l’IVG, soit l’interruption volontaire de grossesse. Selon un article de Euronews avec l’AFP publié le 28 juin 2022, une “action coup de poing de deux militantes Femen a été menée lundi devant l’ambassade des États-Unis à Madrid. Elle ont brandi, seins nus, un drapeau américain barré du message « l’avortement est sacré » pour dénoncer la récente décision de la Cour suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement au niveau fédéral, laissant la liberté aux États de choisir”. Comme pour l’affaire Amina Sboui, les FEMEN se revendiquent à nouveau comme un mouvement défenseur des droits des femmes international en prenant part à des revendications concernant des événements hors sol Européen. En France également, le 21 janvier dernier , des militantes ont pris part à un cortège de la “marche pour la vie”, une manifestation annuelle parisienne contre l’avortement ou encore la légalisation de l’euthanasie. Alors qu’à l’origine le mouvement était principalement centré sur la lutte contre l’exploitation sexuelle des femmes, aujourd’hui, en raison de leur notoriété internationale les FEMEN prennent part à des combats plus vastes. Bien que toujours en lien avec la question des droits humains, les femmes ne sont plus toujours au cœur de leurs revendications. Ainsi, nous ne pouvons plus qualifier les FEMEN de mouvement exclusivement feministe, puisque ce dernier soutient aujourd’hui des causes n’ayant aucun lien avec la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.
A travers le dévoilement de certaines parties de leurs corps lors des manifestations, les activistes de ces deux mouvements soulèvent la question de l’égalité de statut entre les hommes et les femmes. Dans nos sociétés contemporaines, il est tout à fait fréquent que les hommes s’affichent en public le torse nu, sans que cela choque. Cependant, se promener torse nu en publique pour une femme est passible dans la plupart des Etats d’une amende pour exhibition. Les activistes des FEMEN dénoncent à travers leurs actions cette inégalité de genre et cherchent à desexualiser le corps de la femme.
Pour Sorour Kasmaï, la révolte iranienne puise ses origines dans un rêve, un rêve qui remonte à la fin du 20eme siecle, un rêve enterré par les Ayatollah, cherchant à réduire les femmes à leur rôle de mère et d’épouse, le rêve de la liberté et de l’émacipation de la femme . La place des femmes dans la vie iranienne est régi par le code pénal islamique, d’abord sous forme de fatwas (révolution de 1979), puis adopté sous forme de lois par les différentes assemblées. Le régime iranien s’ingère dans la vie privée des iraniennes au nom de la lutte contre les délits moraux . Même après la mort de Khomeini, des mesures concernant le corps des femmes sont prises. En 2014, une politique nataliste interdit toute forme de contraception dans le but de relancer les naissances. Puis, en 2021, suite à l’élection du président très conservateur Ebrahim Raissi, la politique nataliste est renforcée et de restrictions quant au droit à l’avortement sont mises en place. Dans l’Iran d’aujourd’hui, les femmes ne sont encore que très peu représentées, au parlement iranien, il n’y avait que 5,6% de femmes . Avec la mort de Mahsa Amini et la surmédiatisation du mouvement, ces revendications ont été remises sur la table. Le port obligatoire du voile est en effet le premier moyen de restreindre les femmes en Iran, c’est par la contrainte de porter le voile qu’il devient une manière de les assujettir. Si elles ne peuvent plus s’habiller comme elles le souhaitent, c’est le droit à la libre disposition du corps qui est mis en question.
Le 21 Mai 2023, les autorités judiciaires et l’exécutif de Téhéran ont soumis au parlement un projet de loi visant « à soutenir la culture de la chasteté et du hijab ». Il prévoit des sanctions graves à l’encontre des femmes et des jeunes filles ne respectant pas cette loi, des sanctions allant de la restriction des droits économiques et sociaux de la femme en question jusqu’à l’emprisonnement sur une durée de cinq à dix ans. Chez ces civils iraniennes, l’opposition à l’obligation du port du voile ne passe pas forcément toujours par de grandes manifestations, il est surtout question de défier la loi et donc le régime en portant son voile desserré, de laisser apercevoir quelques mèches. Iraniens et iraniennes continuent de défier le régime bien que leurs manifestations n’aboutissent qu’à l’ inverse de ce qui était souhaité par les revendications initiales.
Le symbole au service du message politique
Nous pouvons néanmoins nous demander si la dimension spectaculaire de la mise en scène des corps de ces deux mouvements n’occulte pas le message politique qu’ils souhaitent transmettre? Aujourd’hui, les FEMEN ont quelque peu perdu le soutien des médias occidentaux et de l’opinion publique. Leurs méthodes jugées extrémistes sont de plus en plus désapprouvées, notamment en France. Le 13 février 2013, huit activistes avaient pénétré dans la cathédrale Notre-Dame, située à Paris, pour revendiquer le droit au mariage homosexuel. Les militantes avaient scandé sur le parvis “In gay we trust”, parodie de la devise américaine “In God we trust”. Lors de cette action, trois cloches anciennes avaient été abimées par les activistes. Une peine de 1000 euros a dû être payée par chacune d’entre elles. Quelques mois plus tard, en décembre 2013, une activiste qui avait mimé l’avortement de Jésus devant l’autel de l’église la Madeleine, avait été condamnée pour “exhibition sexuelle”, plus relaxée après l’intervention de la Cour Européennes des Droits de l’Homme. Ces deux actions dans des lieux religieux ont déplu à une partie des citoyens français, qui ont jugé que les activistes allaient trop loin en s’attaquant à la religion chrétienne, très présente en France puisque selon l’outil de statistiques Statista, près de la moitié des français sont chrétiens ou de tradition chrétienne. Leurs revendications sont ainsi perçues par l’opinion publique comme antchléricales et parfois blasphématoires. En revanche, même si la démarche des femmes iraniennes heurte une partie de l’opinion publique qui soutient le régime des Mollahs, leurs actions sont perçues positivement par une partie de la jeunesse Iranienne, ainsi que par une grande majorité de l’opinion internationale qui dissocie les principes religieux de leur quête d’émancipation. Cette différence de soutien est probablement liée aux contextes géopolitiques des pays dans lesquels leurs actions sont menées. Le mode d’action des FEMEN divise au sein des sociétés européennes, notamment en France, car les populations estiment qu’elles pourraient agir différemment en raison des lois très protectrices en matière d’expression. En revanche, l’opinion internationale considère que les femmes iraniennes n’ont pas d’autres recours en raison du régime très oppressif dans lequel elles vivent.
En Iran, s’il y a une répression forte et des projets législatifs visant à resserrer les lois quant au port du hijab, c’est que les actions des militants iraniens et le soutien mondial ont un impact sur le gouvernement d’Ebrahim Raissi. Ce n’est certes pas l’impact souhaité par le mouvement qui espère faire changer les lois et le statut de la femme en Iran, mais cela signifie que le régime est impacté par les manifestations et craint qu’elles ne s’intensifient. Les femmes opposés au port du voile et souhaitant l’évolution du statut de la femme en Iran, se sont réunis autour du slogan Femme, Vie, Liberté vite devenu un mouvement peu organisé mais soutenu par des milliers de femmes. Le soutien international aux femmes iraniennes s’est surtout construit à partir de la mort de Mahsa Amini et autour d’un symbole fort. Un symbole de deuil, un symbole de libération et d’émancipation des femmes iraniennes des chaînes du régime des mollahs. Pour Sorour Kasmaï, “Il n’est pas surprenant de voir le corps […] occuper une place de choix. La liberté corporelle ne constitue-t-elle pas la liberté politique par excellence dans le contexte iranien ? Un corps féminin contraint à des règles strictes, marqué par le “fer rouge” du hijab, blessé par les balles des forces de l’ordre, meurtri sous les coups d’un mari, ou encore victime de la vengeance féroce d’un père.” . Le contrôle du corps des femmes iraniennes est au centre de la stratégie d’assujettissement du régime iranien. Le corps des femmes iraniennes, de part sa mise en scène qui a permis au mouvement de se faire connaître à l’international, est au centre de la libération du peuple iranien.
Conclusion
Le 11 décembre 2023, le mouvement des FEMEN organise une action coup de poing devant le musée du Louvre à Paris en soutien aux femmes iraniennes. On les voies seins nus ou habillées d’un t-shirt noir portant les inscriptions “Femme, Vie, Liberté” ou “FEMEN with Azadi”. Elles se mettent en scène brandissant de longues mèches de cheveux tressés ou s’étranglant avec. Elles crient le slogan du mouvement féministe iranien “Femme, Vie, Liberté”. On peut lire sur une pancarte “l’Iran assassine ses héroïnes”.
Lors de cette action, certaines FEMEN manifestent le torse couvert. Cette démarche s’oppose avec leur stratégie habituelle, qui est de dévoiler leur poitrine, occultant ainsi le symbole même de leur mouvement. Il semble alors pertinent de se demander si ce choix a été réfléchi, et donc effectué par pudeur et respect envers la culture Iranienne. Les activistes ne se sont pas prononcées à ce sujet, néanmoins il reste important de souligner qu’à nouveau s’instaure une solidarité féminine.
Même si depuis quelques années les actions des FEMEN sont moins visibles dans les médias, il n’en demeure pas moins qu’elles ont été source d’inspiration pour de nombreuses femmes aspirant à une plus grande émancipation et à une reconnaissance de leurs droits. Par leurs actions innovantes mettant en scène leurs corps féminin dans l’espace public pour exprimer leurs revendications, elles font figures de modèle. Depuis la création des FEMEN, de nouveaux mouvements féministes sont apparus dans l’espace public, notamment le mouvement “Femme, Vie, Liberté” en Iran. Bien que différents par leurs actions, les activistes de ce mouvement bravent elles aussi les interdits sociaux et politiques de leur pays afin de faire valoir leurs droits. Ces deux mouvements ont su utiliser l’image de leurs corps féminins pour interpeller les médias et obtenir le soutien de l’opinion publique internationale, même si leurs démarches restent controversées dans leurs pays d’origine car elles perturbent les traditions et la vie politique. En effet, de nombreuses femmes en Iran et en Ukraine ne soutiennent pas leurs démarche car l’instrumentalisation de leurs corps à des fins politiques est critiquée. De plus, elles ne se reconnaissent pas dans les modes d’actions utilisés par ces féministes.
Bibliographie et sitographie :
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« Femme, vie, liberté » : chroniques d’une révolution en Iran
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En Iran, les femmes à la reconquête de leurs droits
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Le régime iranien est un « apartheid des genres » : il faut le dénoncer comme tel
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« Femme, vie, liberté », un slogan qui vient de loin
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1906-1979 : de la Perse à l’Iran des chahs, Lumni, 2024
1906-1979 : de la Perse à l’Iran des chahs – Lumni | Enseignement
Le féminisme islamique en Iran : nouvelle forme d’assujettissement ou émergence de sujets agissants ?, Azadeh Kian-Thiébaut, 2010
Interview de Mona Jafarian, membre du collectif « femmes azadi » : “La femme est réduite à un objet en Iran”, TV5MONDE, 2022
VIDÉO. ‘La femme est réduite à un objet en Iran’ | TV5MONDE – Informations
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